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CRISE BOURSIERE : ET SI L’ASTROLOGIE… (...n’y était pour rien) ?
par Serge BRET-MOREL
C’est bien connu, les périodes de crise sont propices à l’éclosion ou l’expansion de l’astrologie. Le mois d’octobre 2008 ne fait pas exception à la règle avec l’astrologie boursière. Panique générale oblige, commencent à fleurir ici et là des papiers1 et déclarations sur les supposées origines astrologiques des variations boursières. Il paraîtrait même que la crise actuelle était attendue et annoncée par les astrologues boursiers. A y regarder de plus près pourtant, ce n’est pas tout à fait ce que révèlent les textes des publications et autres forums de ces professionnels. Fidèle à ses appels à la prudence récurrents depuis des années en matière de prévision astrologique, la Fédération Des Astrologues Francophones (FDAF2), aimerait proposer quelques remarques critiques sur la chose. Il est si rare que le monde de l’astrologie ouvre la voie à une autocritique…
Pour la version courte de ce papier, voir ici
Le 5 octobre dernier paraissait sur Edubourse.com, un conseil boursier au titre évocateur3, suivi d’un second le 134 : le krach de la semaine écoulée démontrait à l’évidence l’installation d’une opposition astrologique. Pourtant… le papier du 5-10 précédant de quelques heures seulement cette folle semaine boursière n’annonçait pas ce véritable tremblement de terre. Tout au plus pouvait-on lire que la configuration la plus marquante de la semaine [qui se produit 2 fois par an…] n’est évidemment pas positive, même s’il s’agit d’un paramètre à court terme. De plus, il semblerait qu’en l’espace de 2 ans, deux oppositions majeures se soient succédées, mais on n’évoque jamais la très positive configuration astrologique (trigone Jupiter-Saturne) dans le ciel depuis fin 2007… qui s’est produite à chaque fois aux pires moments. La publication d’un 3ème conseil le 19-105 et des suivants confirme la pérennité de ces conseils astrologiques hebdomadaires en Bourse malgré leurs limites scientifiques et éthiques.
Il est intéressant de parcourir les forums et autres textes disponibles gratuitement sur les très rares sites spécialisés. De retrouver notamment certains textes publiés à la veille des plus grandes baisses des derniers mois. On constate alors presque toujours que l’astrologue ne soupçonne pas une seconde les événements qui sont sur le point de survenir, et encore moins leur ampleur. Plusieurs problèmes semblent se présenter à lui, et posent évidemment la question de la pertinence même de l’astrologie boursière 1) Il est régulièrement surpris par les événements 2) Il lui est bien difficile de déterminer les dates pour lesquelles il va se passer quelque chose. 2) Si il se passe quelque chose quand il le prévoyait, il a du mal à anticiper les bonnes variations : hausse ou baisse ? 3) Si date et variation sont bien annoncées, il a bien du mal à en mesurer l’ampleur.
Le 27-12-2007 un premier spécialiste astrologue prévoyait par exemple que « le mois de janvier ne sera probablement pas très tonique » (au moment de l’affaire Kerviel, le CAC40 perdit près de 20% entre le 1er et le 22 janvier…) puis « j’estime que l’année prochaine sera un bon cru »6. La même source titrait déjà le 04-12-2007 « prévoir une progression pour 2008 » et annonçait « une reprise progressive des indices sur le 1er semestre 2008 »7. Le CAC40 perdit près de 30 % entre mi-décembre 2007 et juillet 2008… Bien sûr, l’astrologie boursière ne réclame pas le statut de science exacte, mais dans quelle mesure peut-on se tromper ou pire, ne pas voir arriver les événements majeurs ? Le peu de fois que nous avons tenté un dialogue sur ces questions, on a refusé de nous répondre.
Le 18 mai 2008, la même source relaye encore à ses abonnés, et sans jamais s’y opposer, l’information selon laquelle la France présentait encore une croissance potentielle de 2.4% pour 20088. Ou pour la Bourse que « Certains prévoient maintenant une hausse de 10 à 20% d’ici la fin de l’année, voir avant ainsi qu’une remontée de nombreuses valeurs de plus de 25 à 30% [sic]. Nous sommes repassés à l’achat et avons initié des positions plus réactives »9. L’astrologue ne se doutait donc pas un instant de l’ampleur de la baisse qui allait commencer 2 jours plus tard et durer deux mois. Influencé par l’air du temps peut-être ?
Mais si l’influence astrologique n’est pas d’origine causale (donc impersonnelle et soumise au hasard…), alors quel statut donner à l’erreur ??? Quelles doivent être les prétentions et les limites de l’astrologie boursière ? Dépend-elle par exemple du facteur humain ? De l’astrologue ? Comment déterminer aussi si les réussites proviennent bien « de l’étude des cycles astrologiques » ou seulement des connaissances boursières de l’astrologue (question commune en fait, à toutes les astrologies) ? A l’écoute de signes astrologiques contradictoires et conscient qu’il est attendu au tournant, serait-il tout simplement deux fois plus prudent que la moyenne ??? Ainsi peut-on lire dans une actualité du 7 octobre de façon troublante car surligné en gras : La confiance ne sera retrouvée que lorsque les liquidités seront revenues sur les marchés10. Que devient ici le critère astrologique ???
Un second spécialiste de l’astrologie boursière affirmant 16 ans d’expérience en la matière, prévoyait lui, « une vague de hausse (peut-être 20%) » de fin mars à mi-juillet pour au final, une baisse de 10% de fin mars à mi-juillet et une remontée en fin de mois ramenant quasiment au niveau de fin mars… De plus, à la veille de la terrible semaine du 6 octobre 2008 (20% de baisse du CAC40 en quelques jours), la même source ne mesurait pas non plus le danger imminent. Sur son forum on peut lire le 04-10-2008 à 17h13 « Après les mauvaises clôtures sur le nyse vendredi soir, on se demande ce que peut bien nous réserver le carré Soleil-Jupiter de lundi. Nouvel accès de panique ou simple volatilité sans trop de conséquences ? ». Encore une fois, on évoque sans être capable de prévoir quoi que ce soit… l’air du temps nous dit qu’il faut être prudent, mais à part ça... Pire, on peut lire le 9 octobre à 23h22 « Si on pouvait avoir encore des doutes sur l'activation de l'opposition Saturne-Uranus (dont moi-même...) avant son aspect exact, le passage négatif de Mars dans son axe cette semaine lève tous les doutes ». Après-coup les centaines de configurations astrologiques possibles permettent toujours de nouvelles justifications… Dans le même texte on lit encore « on peut sans doute aller chercher un rebond avec Vénus demain matin au trigone d'Uranus »… (la bourse ouvrira en chute de 10%).
C’est ici que se pose la question du fatalisme astral : chercher et revendiquer une justification astrologique à tout événement, c’est interdire à l’Homme et aux hommes, une grande liberté d’action. Ils ne pourraient en effet provoquer une hausse ou une baisse que si une configuration astrale l’autorise par sa présence. C’est une limite que la Fédération Des Astrologues Francophones refuse de franchir. C’est aussi anti-scientifique (la science n’explique pas « tout » mais le plus possible), un reste de divination. En fait, bien des astrologues commettent l’erreur de rejeter sincèrement toute idée de fatalisme astral tout en développant plus ou moins consciemment des pratiques en totale contradiction avec leurs principes. La référence à des paramètres saugrenus et toujours différents en est souvent l’indice révélateur…
Sur le même forum on trouvera aussi un topic annonçant (vainement) tout au long du mois de juin un rebond dû à un aspect astrologique positif attendu pour le 30… En fait, dès qu’une prévision se veut précise elle tombe à côté… Ainsi le trigone [positif] Saturne-Pluton annoncé jusque fin juillet sera accompagné d’une baisse régulière des cours ; l’opposition Mars-Uranus du 8 août [annonçant] 5 à 8% de baisse sera accompagnée d’une stagnation sur le mois en question ; le trigone [positif] Saturne-Jupiter dès septembre mais réellement actif à partir d’octobre sera accompagné d’une forte baisse en septembre et de la chute d’octobre que l’on connaît.
On peut voir là aussi, une contradiction courante en astrologie prévisionnelle dès qu’il est tenté de prévoir à la fois à court et à long termes, ce que permet (mais n’autorise pas pour autant) l’autonomie de l’outil astrologique. Est-il normal qu’une prévision à long terme ne soit pas une synthèse de prévisions à plus courts termes seulement parce que les cycles astrologiques ne sont pas les mêmes à ces échelles de temps ? Et sont même trop nombreux pour le permettre ? Ainsi, l’astrologue construit souvent ses prévisions indépendamment les unes des autres ! D’où les écarts bien opportuns entre les prévisions à très court terme et les prévisions à long terme : indépendantes et souvent contradictoires elles constituent deux séries différentes qui peuvent être rappelées selon les besoins de justification. On appelle cela apprivoiser le hasard… car au plus ces deux séries sont contradictoires, au plus l’astrologue pourra justifier tout et son contraire…
D’ailleurs, il faut bien faire la distinction entre une « prévision » et une simple hypothèse équivalant à un pari sans mise que l’on ne pourra pas revendiquer plus tard comme « prévision ». En effet, la complexité du système astrologique est telle, que les discussions sont nombreuses et régulièrement se contredisent, tout comme se contredisent des cycles astrologiques indépendants. Résultat ? Des hypothèses et des dates nombreuses sont EVOQUEES ici et là mais ne peuvent constituer pour autant des « prévisions ». Il est trop aisé d’y revenir après coup et d’en trouver qui correspondent en omettant toutes celles qui sont tombées à côté. Rareté, précision et engagement pourraient ainsi permettre de distinguer entre prévisions et hypothèses datées : si l’on n’a pas émis des dizaines d’hypothèses, et si l’on n’a pas annoncé à la fois ET un événement ET son ampleur, il faut conclure rétrospectivement qu’on ne l’avait pas prévu. Ceci, de la même façon que ceux qui revendiquent une prévision réussie de la catastrophe de Tchernobyl alors qu’ils avaient prévu des « accidents dus à des gaz toxiques »15 sans s’alarmer plus que cela et… alors que les radiations ne sont pas des gaz. Peut-on parler de prévisions réussies ou plutôt de coups de chance lorsque l’on multiplie les hypothèses de jours favorables et défavorables ? Si l’on distingue entre prévision et hypothèse datée, le nombre de réussites décroît alors dramatiquement…
Craignant de voir se reproduire les mêmes erreurs qui, toujours, nuisent à l’image de l’astrologie et à son étude, la Fédération Des Astrologues Francophones renouvelle ses appels à la prudence en matière de prévisions astrologiques, notamment boursières. Les professionnels de l’astrologie, plus que les autres, doivent être vigilants sur leurs méthodes de travail et de communication. C’est pourquoi elle suggère que quelques précautions méthodologiques soient enfin prises : - Ne pas se référer à des dizaines de paramètres différents permettant de se rétracter d’un jour à l’autre en changeant de paramètre astrologique pour justifier l’imprévu. - Ne pas multiplier les hypothèses contradictoires sur l’avenir pour, après-coup, en isoler UNE à la demande. - Bien distinguer entre hypothèse et prévision : toute hypothèse qui n’est pas à la fois RARE, DATEE et PRECISE (prévoir au moins l’ampleur des variations) ne peut réclamer le statut de prévision. - Tirer profit des contradictions : si le très positif trigone Jupiter-Saturne n’a pas correspondu à une période de hausse et confirmé les prévisions optimistes pour 2008 (il s’est même produit aux pires moments), pourquoi ne pas revoir à la baisse les prétentions de l’astrologie boursière ? - Se référer au hasard en utilisant les lois de probabilité : combien de temps en moyenne depuis quelques dizaines d’années y a-t-il des configurations négatives dans le ciel ? Des configurations positives ? Doit-on s’étonner alors, puisque c’est très souvent le cas, qu’il y ait naturellement, c’est à dire par pur hasard, quelques simultanéités ? En quoi les fréquences dépassent-elles le hasard ? Sur quel ensemble de référence les calcule-t-on, etc ?
Aujourd’hui, ni les méthodes ni les résultats obtenus ne semblent suffisamment étoffés pour que leurs auteurs puissent manifester l’assurance qui est souvent la leur. L’astrologie a besoin d’une autocritique permanente pour ne pas sombrer dans les facilités d’interprétations dont elle abuse trop souvent. Quand les méthodes auront été revues et améliorées, pourquoi ne pas rediscuter alors des prétentions possibles de l’astrologie boursière ? Mais avant cela…
Serge BRET-MOREL le 24 octobre 2008
1 Dépêche AFP reprise sur bien des sites :
http://qc.news.yahoo.com/s/afp/081015/insolite/finance_banque_inde_march__s 2 http://www.fdaf.org : pour ceux qui tomberaient par hasard sur cette page, la FDAF est un organisme professionnel visant à une pratique responsable de l’astrologie. 3 D’une opposition saturnienne à une autre, daté du 3-10, http://www.edubourse.com/finance/conseils.php?conseil=46244 4 L’arrivée en fanfare de l’opposition Saturne-Uranus, même auteur http://www.edubourse.com/finance/conseils.php?conseil=46562 5 Quand Mercure joue les trublions http://www.edubourse.com/finance/conseils.php?conseil=46799 6 http://blog.astrologie.wengo.fr/2007/12/27/cosmovaleurs-vous-souhaite-de-joyeuses-fetes-et-une-tres-bonne-annee-2008/ 7 http://blog.astrologie.wengo.fr/2007/12/04/prevoir-une-progression-en-2008-par-solange-de-mailly-nesle/ 8 http://www.cosmovaleurs.com/recession-en-europe/ 9 http://www.cosmovaleurs.com/previsions-boursieres-en-mars-et-avril-2008/ 10 http://www.cosmovaleurs.com/bourse-recession/
15 http://zetetique.ldh.org/et1.html#tchernobyl
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