Présages et prévisions |
Sur les origines de l'astrologie : par Serge BRET-MOREL Titulaire d’un Master en Histoire et Philosophie des sciences, Serge Bret-Morel (sbm88888@yahoo.fr) s’efforce de développer une analyse critique de la pratique de l’astrologie, de son histoire ou de ses fondements, dans le but de retirer à la critique sceptique le statut autoproclamé de seul poste d’observation objectif de la chose. Il est possible de (re)penser l’astrologie en intégrant certaines critiques et en en développant de nouvelles (le mépris et la condescendance en moins). Cela a comme 1ère conséquence surprenante d’opposer à la critique traditionnelle une analyse critique concurrente et bien plus complète de l’astrologie. La critique sceptique devient alors « classique » et perd son statut quasi-sacré… Une 2ème conséquence de cette démarche est bien sûr de restreindre les prétentions traditionnelles de l’astrologie. On lit et on entend bien des choses sur les origines historiques de l’astrologie. Il faut signaler à ce sujet l’extraordinaire travail de Giuseppe Bezza. Sa thèse (Historiographie de l’astrologie) a donné lieu à une longue publication dans la revue Sciences et Techniques en Perspective1. 266 pages composent ce numéro qui recense l’ensemble des travaux des historiens sur ce sujet. Le lecteur aura réponse à bien des questions sur les origines de la divination astrale en Mésopotamie (où elle ne devient « astrologie » que bien tardivement), en Egypte et en Grèce. Comme l’annonce le titre de la thèse, l’ouvrage propose aussi une bibliographie particulièrement complète des articles et livres sur le sujet : pas moins de 54 pages ! On ne pourra que conseiller à tous l’acquisition de cet ouvrage très dense mais qui permet une recontextualisation salutaire des différents débats à propos des origines plus ou moins mythiques de l’astrologie, ce sujet étant quasiment absent des travaux universitaires français contemporains.
Fermons cette parenthèse et entrons maintenant dans le vif du sujet pour proposer une réflexion que nous n’avons pas trouvée pourtant, dans ce travail, bien qu’elle paraisse pouvoir s’y insérer sans encombre : en quoi les présages mésopotamiens ne peuvent-ils pas être, techniquement, des prévisions astrologiques ? Commençons par nous poser quelques questions à partir d’un présage mésopotamien quelconque, par exemple celui-ci : Si Jupiter passe à la droite de Vénus, un puissant fera la conquête du pays Guti par les armes2. Remarquons pour commencer que nous sommes à des années-lumière des interprétations astrologiques actuelles. Non pas qu’elles soient toujours plus intelligentes ou moins fatalistes, mais dans le sens où de nos jours la justification technique ne fait plus référence à des paramètres visuels comme la droite ou la gauche. La protoastronomie mésopotamienne est bien démunie pour dépasser le cadre de l’observation empirique. Tardivement elle se mathématisera, mais pendant des millénaires les présages des devins mésopotamiens sont pour la plupart formulés sous cette forme.
On parle de protase et d’apodose pour décrire l’articulation du présage. Pour ceux qui nous intéressent, la première partie (la protase) fait référence à un phénomène astronomique du domaine de la perception visuelle (pas question de parler de positions en maisons astrologiques, de directions symboliques ou d’aspects, ce sont là des choses trop abstraites car géométriques). La seconde partie (l’apodose) décrit en général un événement de la vie des hommes, dont le contenu est en général collectif, mais parfois individuel. Ainsi, écrit le devin, SI tel phénomène astronomique est observé, ALORS tel événement doit se produire. Mais attention, il ne faut pas voir là une relation de cause à effet comme le font encore certains auteurs non familiers de la pratique astrologique. Ainsi Berlinski3 voit-il dans les présages une relation logique décrivant une relation de cause à effet. Pourtant, rien de plus faux que cela. Une planète, en Mésopotamie, ne fera longtemps que transmettre les décrets divins, elle ne « provoquera » rien par elle-même, la notion d’influence ne sera formulée que bien tardivement.
Une question se pose tout de même : quelle est la valeur d’un présage ??? Certains sont si caricaturaux (Si une éclipse a lieu le matin, un homme puissant détruira le pays4, qu’ils nous paraissent facilement réfutables). Or, comment de tels présages ont-ils pu constituer la bible du devin mésopotamien pendant tant de siècles ??? Au-delà du fait que l’on ne peut même pas qualifier d’astrologiques la plupart de ces présages (astralement divinatoire n’est pas astrologique), on peut leur contester aussi la qualification de prédiction ou de prévision. Pour Berlinski encore, les astrologues mésopotamiens (on appréciera le raccourci…) lisaient les signes dans le ciel pour déduire le cours des événements futurs5. Or ce n’est pas le cas, car qui dit prévision dit capacité de prévoir… et il se trouve que la régularité des mouvements planétaires n’a été connue puis maîtrisée que vers la moitié du 1er millénaire av. JC seulement. Ce fut d’ailleurs une belle surprise pour les observateurs du ciel de l’époque. Auparavant, les mouvements des planètes paraissent chaotiques, ce pourquoi on peut envisager que ce sont les dieux qui décident de leurs positions dans le ciel selon les messages qu’ils veulent faire passer aux hommes. Des observations purement empiriques (c’est à dire sans outil théorique en amont) n’avaient donc pas montré que le cours des planètes est continu, et dans quelques constellations quelque part « alignées » sur la voûte céleste en ce qui deviendra un cercle. La notion d’écliptique n’apparaît ainsi que tardivement, et celle de zodiaque encore plus, puisqu’elle la nécessite. Mais il suffit de regarder le ciel de nuit sur plusieurs mois pour constater que, changements de saisons obligent, « les constellations du zodiaque » ne sont pas à la même hauteur sur l’horizon d’un observateur terrestre. Et encore moins sur plusieurs millénaires.
Or, si les devins ne pouvaient pas techniquement prévoir le mouvement des astres, ni les placer sur un cercle, les présages constituent-ils au moins des « prédictions » astrologiques ? Pas au sens contemporain du terme en tout cas, car elles incluent la prévision. Autrement dit, la prédiction astrologique a aujourd’hui comme particularité d’être datable, ce qui n’est JAMAIS le cas d’un présage. En cela, il nous faut bien distinguer le présage propre à la divination astrale de la prédiction astrologique. A l’énoncé puis à la lecture d’un présage on ne sait pas quand (ni même si) se reproduira le phénomène astronomique répertorié, d’où son aspect mystérieux. Un présage se comprend de la sorte : « si un jour tel phénomène astronomique se reproduit [selon la volonté des dieux, on ne sait donc pas quand] alors il faut s’attendre à tel ou tel événement ». Mais une prévision-prédiction astrologique se présente comme suit : « lorsque telle configuration astrologique va se reproduire à telle date, donc à ce moment-là [connaissable dès maintenant car calculable] il faut s’attendre à telle ou telle chose », l’interprétation variant avec l’astrologue.
On le voit, le parallèle n’est pas direct entre un présage de la divination astrale ne présupposant pas la possibilité même de dater les phénomènes astronomiques à l’avance, donc de prévoir, et la prédiction astrologique dont la possibilité de dater est le fondement même. C’est pourquoi on ne saurait faire directement le parallèle entre l’astrologie contemporaine et la divination astrale en Mésopotamie au-delà de 500 av. JC pour revendiquer une ancienneté que l’astrologie n’a pas, au moins dans ses fondements, ses pratiques et ses conclusions actuelles.
De plus, à ceux qui voient dans l’Histoire un argument fort pour une « science astrologique multimillénaire » on peut faire remarquer que si l’astrologie est « vieille de 5.000 ans ou plus », alors la compilation de présages mésopotamiens qu’est l’Enûma Anu Enlil est un condensé de son état vers 1.000 av. JC. Cela paraît bien fade et contradictoire pour une « science multimillénaire » au sens où on l’entend souvent pour magnifier les conclusions ou la valeur des praticiens contemporains. La version standardisée de l’Enûma est en effet datée de la fin du premier millénaire av. JC mais certaines sources remontent jusqu’au milieu du 2ème millénaire. Or, seuls quelques énoncés isolés sur plusieurs milliers paraissent être qualifiables d’astrologiques (positions d’astres visibles à la naissance par exemple). Bien sûr, on n’y trouve aucune référence au zodiaque, aux cycles, aux degrés, encore moins à des aspects astrologiques. L’Enûma est une compilation de présages, c’est à dire une liste en opposition aux interprétations astrologiques contemporaines organisées géométriquement. Des tablettes sont consacrées à tel astre ou à tel autre, mais pas de manières systématique comme on en a l’habitude aujourd’hui : positions en Bélier, en Taureau, en Gémeaux, etc… De plus, les présages sont tous formulés dans un calendrier lunaire où les phénomènes célestes ne sont pas encore répartis en catégories bien distinctes. Les phénomènes astronomiques y côtoient encore les phénomènes météorologiques : les conjonctions accompagnent ainsi les comètes ou les nuages, le brouillard, etc.
Une erreur courante dans la présentation de l’astrologie aux non initiés consiste donc à attribuer « aux mésopotamiens » telle ou telle pratique ou tel ou tel savoir, sans préciser de date. Mais c’est oublier que la période historique à laquelle on se réfère s’étend sur plusieurs millénaires. Les choses n’évoluaient pas comme aujourd’hui en quelques dizaines d’années ou moins, ce qui amène à attribuer à des avancées récentes une ancienneté qu’elles n’ont pas. Certains par exemple, font remonter « les origines du zodiaque » vers -2.000 ou plus en assimilant constellations et astrologie alors qu’il ne suffit pas de constellations nommées pour qu’il y ait astrologie ou même divination astrale. Pourquoi cette erreur ? Parce qu’en partie, on considère les constellations comme un produit de l’astrologie. Or, l’Histoire montre que ce n’est pas le cas, il n’y a pas besoin de chercher à connaître l’avenir du roi pour regarder les constellations et les associer à des mythes. Il faut aussi une mathématisation de l’astronomie pour engendrer l’astrologie, elle n’apparaît que bien plus tardivement.
Le besoin de faire remonter l’astrologie à des dates où elle n’existe pas encore répond ainsi à plusieurs nécessité. L’argumentation sceptique voit dans le décalage des constellations par rapport aux signes (du à la précession des équinoxes) un argument de choix en apparence très accessible au grand public. Mais la découverte du phénomène de précession remontant à il y a 2.200 ans, il faut que l’astrologie soit présentée comme bien plus ancienne pour que l’on puisse lui opposer « un passage des constellations aux signes » qui n’a pourtant jamais eu lieu. C’est pourquoi le sceptique n’a pas intérêt à contester vraiment la soi-disant ancienneté de l’astrologie : elle le sert. Pour nombre d’astrologues, l’ancienneté de l’astrologie doit être le corollaire et la prémisse de sa crédibilité. Bien plus ancienne que la science moderne ou l’astronomie Grecque, elle pourrait alors être considérée comme son égale en dignité, ou son aînée, donc échapper par dérogation à la réfutation. La persistance historique de l’astrologie reflèterait alors sa valeur interne, malgré une histoire bien décousue comme on l’a argumenté plus haut à propos des présages. Enfin, l’ancienneté supposée de l’astrologie alimente et se nourrit aussi de l’idée d’universalité. Les premiers hommes « auraient senti ou pressenti » une relation universelle qui les lierait aux astres (même s’ils l’ont dans tous les cas 1) mal formulée et 2) formulée différemment d’une culture à une autre…). Sachant que la divination astrale coexiste avec d’autres divinations bien moins défendables (celle par l’examen du foie par exemple…), ne devrait-on pas voir là d’abord une réécriture de l’histoire ?
Mais des considérations toutes simples permettent de rendre moins surprenante la persistance historique de présages si facilement réfutables, car si peu systématisés. Elles nous rappellent que l’univers intellectuel et technique de ces premiers observateurs du ciel n’est pas du tout le nôtre. Il faut considérer tout d’abord que les cycles de l’astronomie d’observation sont bien plus longs que les cycles astrologiques. Que serait « le cycle astronomique d’une planète » pour les premiers observateurs du ciel, s’ils en avaient eu l’idée ? Pas un cycle de l’astrologie tropique ou sidérale (un astre revient vers la même longitude zodiacale, c’est à dire dans un signe ou une constellation) où la notion de cercle est fondamentale. Ce serait le temps entre la reproduction de deux phénomènes astronomiques identiques.
Or de tels « phénomènes » sont les suivants : telle planète passe « au-dessus » ou « au-dessous » de telle étoile, puis au-dessus ou au-dessous de telle autre, et ainsi de suite, etc. Or, ceci réclame un suivi sur de longues périodes, ce qu’empêchent naturellement les occultations par le soleil, le mauvais temps, ou la nécessité de financements pour se consacrer à la chose, d’une écriture un tant soi peu développée, ou de mathématiques adaptées. Et surtout : l’obstacle de la conception selon laquelle les dieux dictent leurs volontés aux planètes. En effet, si les dieux en décident, pourquoi le cours des astres serait-il prévisible, donc régulier ? Ce serait même une privation de puissance pour les dieux… sacrilège ! C’est pourquoi les observations systématiques seront si tardives et si riches d’enseignements en donnant lieu aux premières ébauches d’éphémérides. Celles-ci collecteront d’abord les positions passées des planètes, desquelles on pourra déduire l’idée de leur déplacement continu et régulier sur la voûte céleste. Les constellations passeront alors du ciel à un support écrit, un gain d’abstraction dont on connaît la fécondité… Mais nous sommes là vers le milieu du 1er millénaire avant JC. seulement, donc bien après les 1ers présages.
On comprend alors mieux en quoi la notion de cycle astrologique n’a absolument rien de naturel « pour les hommes », et en quoi les présages ne prédisent pas mais se content d’annoncer en présupposant seulement que si les dieux veulent faire passer un message équivalent, ils le feront à travers le même phénomène astronomique. D’où la réciproque : si tel phénomène astronomique se reproduit, « alors » c’est que les dieux veulent faire passer le même message aux hommes. Leur langage serait sinon, incompréhensible ! Il ne faut pourtant pas voir là que les causes produisent les mêmes effets, mais que les mots contiennent le même sens (aux interprétations prêt). Les recueils de présages contiennent donc les messages des dieux bien plus qu’une description d’effets d’une influence astrale ou la description du destin du monde (qui impose la notion de prévisibilité). Ils ne sont pas vraiment non plus un dictionnaire du langage des dieux, ce que deviendra l’astrologie avec le développement d’une forme d’alphabet astral et la systématisation que l’on connaît. Les présages en effet, ne sont pas organisés en un système qui permet par exemple de prévoir la signification d’un phénomène astronomique qui ne s’est pas encore produit. Ce sera là, une possibilité offerte par l’astrologie.
Il ne faut pas oublier non plus que le lien entre les astres et les événements des hommes est conçu comme un lien parmi d’autres. Aux mêmes périodes les mésopotamiens vont ainsi chercher des « corrélations » entre les événements et tous types de phénomènes : la hauteur du fleuve, le prix de l’orge, le temps qu’il fait, l’état du foie de l’animal sacrifié, etc2. La spécialisation astronomique, si l’on peut dire, est elle aussi très tardive.
Mais pour expliquer la persistance de présages si facilement réfutables, il y a encore la possibilité de rendre un phénomène astronomique plus rare qu’il n’est vraiment : en le combinant à une autre série d’événements. Si par exemple tel phénomène a un sens s’il se produit « le 3ème jour du 9ème mois » mais qu’il en a un autre « le 2ème jour du 4ème mois », on verra apparaître des combinaisons qui ne se reproduisent que très rarement, voire jamais. Un tel présage est alors quasiment irréfutable puisqu’il ne se reproduira qu’après plusieurs générations d’observateurs. Mais d’autres combinaisons sont possibles, dont l’association de deux phénomènes astronomiques et d’une date du calendrier, etc. La lune fut ainsi partagée en quatre quartiers afin de différencier l’interprétation des occultations ou d’éclipses partielles. La complexification par le biais du détail est toujours omniprésente dans l’astrologie que l’on connaît, même si elle a changé de forme.
L’aspect politique du présage enfin, peut donner lieu à ce qui se produisait aussi en Chine. Participer à la chute de l’Empereur ou influer dans ses décisions en colportant de faux présages, ou encore en abusant d’eux. L’instrumentalisation des présages peut amener jusqu’à l’autoréalisation d’événements. Lorsque tel phénomène astronomique se produit et qu’un présage annonce par exemple l’attaque de l’ennemi, si les relations sont tendues à ce moment-là, mieux vaut prévenir que guérir et attaquer en premier… ce qui confirmera au passage le présage. L’empoisonnement du Roi au moment d’un phénomène astronomique néfaste ne sera-t-il pas, d’ailleurs, moins suspect car « annoncé » ? De plus, ce qui nuit à la réfutation d’un présage négatif, si des malheurs sont annoncés pour le roi à l’apparition de tel ou tel phénomène astronomique, alors on peut lui demander de se cacher jusqu’à la fin de la période néfaste, et/ou le remplacer par un sosie ou un figurant. Le présage peut ainsi servir de prétexte pour intervenir dans la vie politique tout en provoquant ou en évitant la réalisation d’un événement selon les intérêts de chacun.
Plus tard enfin, bien que divination parmi d’autres, la divination astrale sera la seule capable de pré-dire ce que seront les signes futur avec des semaines ou des mois d’avance. Quel avantage sur les autres divinations ! En ce sens, la régularité du mouvement des planètes permet par le biais de la prévision, un service que seule la divination astrale proposera dès le milieu du 1er millénaire av. JC. Un peu plus tôt avec le soleil et la lune. Ni l’hépatoscopie, ni les autres divinations ne peuvent se détacher du présent… Les 1ers astrologues – astronomes eux, pourront interpréter les signes des dieux sans se limiter au présent : ils pourront aller dans le futur, et même dans le passé ! Une certaine « proximité » du divin qui assurera le succès que l’on connaît.
Serge BRET-MOREL novembre 2007
1. Sciences et Techniques en
Perspective NS 6, fascicules 1 et 2, 2002 Précis
d’historiographie de l’astrologie : Babylone, Egypte, Grèce.
Editeur Brepols, Belgique. 2. Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne, p240, Joannès, 2002, chez Robert Laffont 3. La tentation de l’astrologie, 2006, Seuil 4. Berlinski encore, p24 5. Berlinski toujours, p128
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