Hommage à Suzel... |
Hommage à Suzel FUZEAU-BRAESCH Membre du Comité d’Honneur de la FDAF
Le 1er février dernier je recevais un courrier de Suzel provenant de l’étranger. Elle annonçait à ses proches qu’elle avait décidé de mettre un terme à sa vie dans des conditions décentes. Cela avait eu lieu le 24 janvier 2008. Touché de près par son décès, la FDAF m’a proposé de rédiger cet hommage à la mémoire de notre atypique membre d’honneur. L’examen purement rationnel de l’astrologie n’étant pas chose courante, nous avions tissé en effet les liens d’une réelle amitié. Au point qu’elle me proposa de vivre un an chez elle à Orsay pendant ma récente 2ème année de Master à la Sorbonne. Nos affinités de personnalités (calme, indépendance d’esprit, curiosité et engagement intellectuel, détermination ou refus du tout ésotérique) ainsi que nos différences de formation menant à certaines divergences, firent émerger de cette année une grande complicité.
Depuis de longs mois, Suzel avait progressivement perdu la vue, entraînant un bouleversement tant intime que physiologique qui ne lui permettait plus de se consacrer à ce qui guida toute sa vie : la passion pour la Science et la connaissance en général. Comme elle le disait encore il n’y a pas si longtemps, à son âge (80 ans le 10 janvier 2008) elle s’était préparée à toutes sortes de soucis physiques, mais pas à la cécité. Plus de lecture autonome, plus de rédaction (son dernier livre en langue anglaise, presque sous presse, fut le plus difficile à terminer), des échanges de mails rendus bien difficiles, plus d’activité physique (biologiste de formation, Suzel aimait à marcher chaque jour dans la nature). Selon ses termes, sa vie était devenue « inutile et dégradante (…) insupportable avec mon tempérament et mon caractère, ma volonté d’actions utiles ». C’est pourquoi elle avait décidé de se faire assister en un pays où la chose est légale, et en rejetant expressément l’idée de violence que l’on associe spontanément au suicide. Elle avait le sentiment que sa tâche était accomplie, quelques heures avant, elle était toujours sereine.
Ses deux plus grandes fiertés furent la réalisation au plus haut niveau de sa vocation scientifique précocement ressentie vers l’âge de 7 ans, et la vie de famille qu’elle connut à travers un mariage heureux et des enfants et petits enfants dont elle était très fière. Femme moderne avant l’heure, Suzel développa dès son plus jeune âge une grande curiosité pour la nature. Dans l’avant-propos de son Astrologie : la preuve par deux, elle se rappelle avec émotion les questions que se posait la petite fille qu’elle était alors. Est-ce le vent qui fait bouger les arbres, ou les arbres en bougeant, qui font le vent ? Elle conquit son indépendance et ses titres universitaires (Docteur d’Etat es Sciences, puis Directeur de recherche honoraire au CNRS, et directrice d’un laboratoire de recherche universitaire pendant 25 ans), et fonda une famille en se mariant en tailleur, s’il vous plaît ! Elle s’engagea politiquement jusqu’à ce qu’elle mesure avec horreur l’ingérence du critère politique jusque dans certaines décisions du monde de la Recherche. Elle publia aussi en conservant son nom de jeune fille (Braesch).
Nombre de ceux qui sont tombés dans l’astrologie ont le souvenir d’une expérience marquante, celle qui les a poussés à aller plus loin. Dans la préface de Comment démontrer l’astrologie ? Suzel nous raconte comment elle rencontra l’astrologie en 1970, alors en mission scientifique à Londres. Nombreuses sont les raisons pour ne pas s’intéresser à l’astrologie. Pour Suzel, une intuition fine de l’astrologue suffisait jusque là pour expliquer les succès de l’astrologie de naissance. Lorsqu’elle découvrit par hasard l’un des premiers ordinateurs astrologiques dans Oxford Street et qu’elle obtint des textes suffisamment précis pour ne pas s’appliquer indifféremment aux personnes dont elle avait donné les dates de naissance, elle se rendit compte que l’argument de « l’intuition de l’astrologue » n’était plus d’aucune utilité contre le vertige qu’elle ressentit dans l’avion du retour pour la France.
Fortement marquée par les résultats statistiques de Michel Gauquelin publiés depuis les années 50, fidèle aussi à son cursus professionnel et ses idéaux humanistes, elle organisa plusieurs expérimentations scientifiques sur l’astrologie une fois que, venu le moment de la retraite, elle put s’y consacrer pleinement. La preuve doit précéder l’explication fut l’un de ses leitmotivs. Y transparaît l’habitude du travail scientifique de terrain où les instruments et l’approche statistique permettent de faire le tri entre certains faits et les (nombreuses) suppositions. Mais c’est chose plus difficile à réaliser en astrologie. Ce leitmotiv fut, lors de notre première rencontre, un tournant dans mon travail (jusque là classique) sur l’astrologie. Avant toute preuve il y a des hypothèses, commençons par faire un tri parmi elles : énumérons tout ce qui ne va pas dans l’astrologie... C’est pourquoi la démarche critique doit toujours accompagner la spéculation, pour ne pas dire la précéder. Dire qu’elle allait à contre-courant est un euphémisme dans un milieu où la spéculation et la surinterprétation sont malheureusement choses courantes de par la nature même de la discipline, mais aussi en l’absence d’enseignement approfondi et organisé.
La FDAF et le Rams ont été représentés à la cérémonie qui eut lieu dans l’intimité le 3 février à Orsay. Fidèle à la détermination que nous lui connaissions tous, elle avait décidé qu’elle n’attendrait pas d’être surprise par la mort. Nous respectons son courage et sa décision, et avons tous été touchés par sa disparition. Le Rams est orphelin de sa vice-présidente et cofondatrice, la FDAF perd l’un de ses membres les plus prestigieux. Le plus actif aussi dans l’optique d’une reconnaissance sociale via le développement d’une astrologie non superstitieuse nourrie, donc transformée, par le critère scientifique. Pour comprendre la démarche de Suzel il ne faut pas y voir la volonté naïve de « prouver l’astrologie » dans le but de la légitimer, il était bien trop tôt pour cela. Non, dans son esprit le résultat statistique avait vocation à interpeller la communauté scientifique afin que d’autres plus nombreux et plus compétents puissent s’atteler à la tâche en remettant tout à plat.
Entière et fidèle à ses convictions d’engagement, elle publia en 1989 aux Presses Universitaires de France le fameux Que sais-je ? L’astrologie qui fit tant de bruit. Pour la première fois une scientifique présentait un panorama de l’astrologie sans le cynisme et la virulence de la première édition. Insistant sur la notion de fait culturel qu’elle constitue depuis plus de 2 millénaires (la question de l’astrologie ne saurait se résumer à une discussion du vrai et du faux), l’histoire de l’astrologie y occupe la plus grande partie de l’ouvrage, incluant quelques résultats expérimentaux positifs obtenus au 20ème siècle. Avec audace, elle ose même y présenter des hypothèses physiques et dénoncer les critiques sceptiques souvent mal informées ou carrément hors sujet, qui ont comme effet de nuire durablement au débat. Parallèlement à cela, elle déplore avec honnêteté le manque de connaissances (ou même de culture) scientifiques dans le milieu astrologique. Si l’ouvrage précédent constituait une virulente critique de l’astrologie, le sien est, en écho, une présentation aussi objective que possible des raisons pour lesquelles l’astrologie pourrait (devrait ?) pour Suzel, interpeller bien plus le monde scientifique que ce n’est le cas aujourd’hui. Il faut noter qu’à son grand désespoir, l’ouvrage a été purement et simplement remplacé depuis 2005 (même titre, même numéro de collection). A la différence de leurs prédécesseurs, deux astrophysiciens produisent un texte sans engagement personnel. Mais La croyance astrologique face à la science aurait été un titre plus approprié, car loin de présenter le contenu des grands courants de l’astrologie, il fait essentiellement le point sur les obstacles réels et pour l’instant insurmontables (fondements, méthodologie, état d’esprit) que l’astrologie aurait à dépasser si elle voulait revendiquer tant le statut de science dure que celui de science humaine.
Le 31 mars 1992 elle co-fonda le Rams (Recherches en Astrologie par des Méthodes Scientifiques). Son ouvrage Pour l’astrologie, Réflexions d’une scientifique (1996) connut un vrai succès de librairie et permit de faire entendre dans les médias un autre discours sur l’astrologie. L’essentiel du travail de Suzel sur l’astrologie est présenté dans son dernier livre en langue française intitulé paradoxalement Astrologie et connaissance de soi. Ses positions sur la causalité ont toujours été difficilement conciliables avec celles de la tradition astrologique - elle fut en cela pionnière et vindicative - mais l’expression qui lui était si chère et qui conclut son Que sais-je ? résumera à elle seule la démarche qui fut la sienne. Parallèlement à la critique « restons open minded… »
En des circonstances si difficiles, prenant part à leur douleur, nous tenons bien sûr à présenter aux membres de sa famille nos plus sincères condoléances. La scientifique comme l’être humain étaient hors normes, comme en témoignent ses engagements de toujours et bien sûr, son départ…
Serge
BRET-MOREL février 2008
Bibliographie astrologique Que sais-je ? L’astrologie, Presses Universitaires de France, 1989 pour la 1ère édition. Astrologie : la preuve par deux, Robert Laffont, 1992 Pour l’astrologie, réflexions d’une scientifique ou l’astrologie à l’épreuve de la science, Albin Michel, 1996 Comment démontrer l’astrologie aux sceptiques, expérimentations et approches théoriques, Albin Michel, 1999 Astrologie et connaissance de soi, Editions Agâmat, 2004 Les cahiers du Rams (http://www.ramsfr.fr/publicationrams.htm), divers articles Le Dieu unique et le récit de Jésus : analyse des mythes fondateurs, L’Harmattan, 2000
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