AMLT : Bonjour Alain de Chivré, depuis la
naissance de la Fédération des Astrologues, le 24 février 1996 à
18h15, votre combat a été de revaloriser l'image de l'astrologie.
Déjà, dans l'éditorial de la lettre des Astrologues n°1, vous dites
"Pour construire et avancer vraiment, il convient de dépasser les
querelles de chapelle..." Aujourd'hui, 1er février 2003,
avez-vous l'impression ou le sentiment que les choses ont changé ?
AdC : La fédération fête
son quart de cycle saturnien. Il s'agit donc d'une période idéale
pour faire un premier bilan. Sur la question de la revalorisation de
l'image de l'astrologie, je pense que nous avons fait un travail
énorme pour différencier l'astrologie de la voyance, de la
cartomancie, de la médiumnité, bref pour prendre de la distance avec
les arts divinatoires. C'est, bien entendu, très loin d'être
suffisant, il reste encore beaucoup à faire mais les différentes
actions que nous avons entreprises ont eu le mérite de montrer que
l'astrologie n'était pas seulement une machine à "fabriquer des
prophéties" ou à éditer des horoscopes de pacotille. Nous avons
inscrit ou peut-être réinscrit notre discipline dans le champ
culturel. Je ne vais pas rappeler ici toutes nos initiatives mais je
me contenterai simplement d'évoquer, en illustration de nos mérites,
les quelques articles que nous avons "décrochés" dans des grands
quotidiens comme Le Figaro, Le Monde, Ouest-France, journaux
qui n'ont pourtant pas la réputation d'ouvrir facilement leurs
colonnes à notre discipline.
Cela montre que l'on peut sensibiliser la grande
presse à une astrologie intelligente. Il suffit de s'en donner la
peine. Notre effort, au cours de ces 7 années, a donc porté
essentiellement sur le déficit identitaire. Je souhaite que nous
continuions car c'est le plus grave problème de l’astrologie et cela
mériterait sûrement plus de solidarité. Et c'est dans ce sens que je
formulais des vœux dans l'éditorial de la Lettre N°1, pour que nous
dépassions nos querelles de chapelles. Qu'en est-il aujourd'hui ? Et
bien, en dehors des quelques "bourdonnements" qu'elle provoque à
l'extérieur, la FDAF ne se porte pas si mal. La plupart des courants
y sont représentés. Cela m'autorise à penser que nous avons une
sorte de légitimité dans un paysage très hétéroclite où les
convictions, les passions, les individualismes rendent pourtant
difficiles les œuvres collectives. Nous n'avons jamais pensé régner
sur toute la communauté. L'hégémonie n'est pas notre préoccupation.
Nous ne faisons pas tout à fait l'unanimité et parfois nos actions
dérangent. Pourquoi aurions-nous peur des conflits ? Ils Nous avons
une sorte de légitimité dans un paysage astrologique très
hétéroclite sont générateurs de croissance et ce sont
incontestablement des signes de vie. Je crois aux vertus du débat.
Il me semble préférable à l'hypocrisie ou à la "langue de bois".

AMLT : J'ai
l'impression que nous tournons toujours autour de l'éternelle
question, celle concernant l'article 7 du code de déontologie de la
FDAF : "L'astrologue aborde toute question
prévisionnelle avec la plus grande prudence et s'interdît de prédire
formellement des événements touchant à la vie physique ou à la santé
de ses consultants ou de leurs proches."
AdC :
Est-il nécessaire de rappeler que près de mille
personnes ont signé ce code de déontologie ? N’est-ce pas
significatif ? Y a-t-il beaucoup d'associations en France à avoir
rassemblé autant d'astrophiles autour d'une même éthique ? La
réserve et la prudence de la FDAF en matière prévisionnelle sont des
preuves de sagesse. Pourquoi certains confrères, (ils sont peu
nombreux mais virulents) nous en font-ils le procès et pourquoi
détournent-ils nos intentions en transformant notre réserve en
allergie à la prévision ? L'astrologie est un discours qui permet
d'anticiper sur les modifications structurelles et non sur les faits
précis ou les événements. Cette notion de "structure" est la
spécificité de tout langage symbolique et de toute sémiotique. Ma
formulation n'a donc rien de dogmatique. Les images ou les
métaphores astrologiques générées par les transits, les directions
primaires, les progressions ou autres techniques prévisionnelles
n'autorisent personne à préjuger de la forme précise d'une
manifestation. Du reste y a-t-il toujours manifestation ? Quand on
sait qu'il peut s'agir de matière ou d'énergie, on peut rester
perplexe. Et puis, je l'ai déjà dit souvent et d'autres l'ont dit
avant moi : une multitude de facteurs tissent le devenir d'un
individu. Il faut savoir raison garder. Explorer le temps ce n'est
pas nécessairement prédire l'avenir.
On ne peut pas pratiquer l'astrologie aujourd'hui
comme on le faisait au XVIIème siècle, "Astrologie
sans conscience n'est que ruine de l'âme", (clin d'œil à
Rabelais qui, je crois, s'intéressait, de près, à notre discipline).
Quand je vois certains de mes confrères se gargariser des vieilles
recettes de cuisine aux noms hermétiques (anérète, hyieg,
décombitures, etc.), cela me fait un peu peur, je vous l'avoue, et
ma peur n'est peut-être pas si névrotique. Supposons que cela soit
lié à mon inculture ! Mais bon sang : que fait-on des apports de la
science moderne et de la psychologie ? L'éthique n'est pas faite
pour les chiens, ce n'est pas non plus le monopole des biologistes
(voir en ce moment la réflexion sur le clonage) ou du corps médical
(voir les polémiques sur l'euthanasie). Les astrologues ont, eux
aussi, le devoir de s'interroger sur leur pratique. Il est grand
temps de se mettre au travail.
AMLT : Toujours à ce propos, vous avez écrit dans
la Lettre n°1 : "Il ne s'agît que de prédictions
EVENEMENTIELLES relatives à l'intégrité physique de l'individu (par
exemple la prédiction de mort) ou à la santé (par exemple la
prédiction de maladies)". C'est tout à fait clair, je pense
qu'il n'y à rien à redire à cela.
AdC :
Vous insistez sur
ce point délicat et me poussez dans mes retranchements. Sans doute
avez vous raison : il faut percer l'abcès. Vous dites "Rien à
redire", et bien je vais en rajouter quand même si vous le
permettez, car je crois que ce sont les exagérations prédictives qui
nuisent à l'astrologie et bloquent son développement depuis des
années. En France en tous cas. Ce que j'ai dit en 1996, je ne le
renie pas mais aujourd'hui j'aurais tendance à aller encore plus
loin et à penser que les astrologues auraient intérêt à proscrire
toute prédiction événementielle individuelle. Sans la limiter
à la santé. C'est un avis personnel, je crains qu'il ne soit pas
encore suffisamment partagé. Mes sept années passées aux commandes
de la FDAF m'ont obligé à écouter un certain nombre de témoignages
sur des consultations astrologiques effectuées ici et là en France
par des praticiens officiels. Inquiétant ou dramatique ! Ne le dites
surtout pas à Gérard Miller, il serait trop content : oui, le
terrorisme divinatoire existe bien. Il y aurait de quoi faire une
thèse de sociologie (enfin une autre !).

Ne noircissons pas le tableau quand même car il y a
aussi - et heureusement, en bien plus grand nombre - des témoignages
très positifs. Mais force est de reconnaître que la prévision, et à
plus forte raison la prédiction, laissent parfois des traces
indélébiles. Il faut donc marcher sur des œufs. Tout conseil ou
toute communication astrologique peut facilement devenir une
manipulation. Soyons vigilants et redoublons de prudence. Un thème
astral, c'est un "objet" mais la personne que nous recevons, est un
être vivant. Le sujet est plus important que l'objet. Ne nous
laissons pas entraîner par les informations contenues dans le thème.
L'astrologie n'est pas une vérité, ce n'est qu'une grille de
lecture. Le hasard (?) fait que, en répondant à votre interview,
j'ai un livre d'Arroyo ouvert à coté de moi. Voilà ce que je lis :
"Lorsque je donnais des consultations, environ 30 ou 40 %
de mes clients venaient me voir après avoir consulté un astrologue.
J'étais fou furieux de voir et d'entendre ce qui s'était fait au nom
de l'astrologie. Il me fallait souvent passer énormément de temps à
réparer les dégâts, à les rassurer... Beaucoup de mes clients
vivaient leur anxiété face à l'avenir comme une infirmité. Très
souvent, ce sont les astrologues qui ont planté le germe de cette
anxiété. C'est à mon avis quelque chose d'extrêmement grave..." Ce
texte est extrait de Pratique de l'astrologie aux Editions du
Rocher. Je le contresignerais volontiers si Stephen Arroyo me le
permettait.
AMLT : Située
en dehors de tout débat politique et de toute polémique, je vous
interroge en terrain neutre... Que se passe t-il aujourd'hui, au
sein du monde astrologique ? J'ai entendu parler de diverses
querelles et dissensions entre la FDAF et d'autres mouvements dont
la FAES (la Fédération des Astrologues d'Europe du Sud), toujours
autour de ce même sujet épineux, la prévision. Maurice Charvet
aurait donné sa démission.
AdC :
Le monde
astrologique est effectivement en train de bouger... Il y a des
remises en question ici et là. Celles ci sont probablement dues à
des prises de conscience mais également au ralentissement subit de
nos activités économiques. Dans tous les pays européens l'astrologie
est en perte de vitesse. Tous les secteurs semblent touchés : la
consultation, l'enseignement, et même le livre, ce qui est encore
plus révélateur. En fait, cela dure depuis quelques années et il est
fort possible que nous soyions au creux de la vague. Ce serait
logique. Nous faisons les frais des démonstrations prédictives
spectaculaires de l'année 1999 et de notre "absence totale" (ou
presque !) en septembre 2001. Tel est, du moins, mon diagnostic. Ce
que j'évoque là concerne peut-être l'astrologie mondiale et cela n'a
apparemment pas de rapport avec votre question. Je crois pourtant
que ce sont des signes au sens fort du terme (et en référence à
Plotin). Ce sont des signes qui devraient nous inciter à changer de
cap. Nous n'osons pas le dire : le déterminisme astral nous
empoisonne. Il faut que nous tournions une page, cela devient
urgent. Alors, pardon, je n'ai pas répondu totalement à votre
question. Il y a effectivement un petit différend entre la FAES et
la FDAF. A vrai dire, nous-mêmes, nous ne comprenons pas très bien
ce qui se passe. C'est sans doute une complexité qui est en phase
avec l'opposition Jupiter Neptune, à moins de manœuvres
insidieuses... Ce que l'on peut dire, c'est que cette affaire est
très trouble. Le débat tourne autour de la prévision ou plutôt de la
prédiction. C'est donc au cœur de nos préoccupations, mais pour
l'instant il est trop tôt pour en parler en détail. Nous restons
toutefois à la disposition de tous les adhérents concernés par ce
problème pour leur fournir des informations détaillées sur ce
litige. Rien n'est secret. Nous rendrons publics les résultats de
nos négociations dès que les choses seront plus claires.
« Le déterminisme astral nous empoisonne.
Il faut que nous tournions la page, cela devient urgent »
AMLT : Dans la Lettre des Astrologues n°
23, André Barbault écrit à propos de l'astrologie prévisionnelle,
"... l'astrologie est bonne fille : chaque astrologue la
métamorphose à son image. J'ai beau aimer ma passion et la situer au
sommet de l'art. Ce n'est qu'une version parmi d'autres. Je
me garde de me donner comme modèle et je comprends, respecte et
estime, que l'on se refuse à prévoir. Chacun sa voie. Et à tout
prendre, je préfère ce renoncement à un pernicieux usage de la
prévision sans dignité." Qu'en pensez-vous, Alain de Chivré ?
AdC :
Cette déclaration
d'André Barbault est très conciliante. C'est un sujet sur lequel il
a beaucoup réfléchi comme tout vrai praticien. J'ai en mémoire deux
phrases clés prononcées par lui sur les antennes d'une grande radio
nationale : "L'astrologie est le pays de l'utopie",
"L'astrologie a besoin de liberté pour être sauvée". Je crois
pouvoir dire aujourd'hui qu'André Barbault soutient pleinement la
position de modération de la FDAF en matière prédictive. Sans doute
serait-il le premier à pouvoir vous en parler. Pourquoi ne pas
l'interviewer prochainement ?
AMLT : Je me
ferai un plaisir de rencontrer André Barbault à ce sujet, s'il en
ressent le besoin et le désir, et je pense que sa longue expérience
du terrain sera un enseignement pour nous tous. Merci Alain, de
m'avoir accordé cet interview au milieu de votre emploi du temps
surchargé... à défendre la cause d'Uranie.