les "Astro Plumes"


Roland LAFITTE

 

Des noms arabes pour les étoiles

 

(propos recueillis par Natacha Smigielski)

 

Roland Laffitte collabore à diverses publications dont les Cahiers de l'Orient, s'intéressant tout particulièrement à l'intériorité réciproque des cultures des deux rives de la Méditerranée et donc au dialogue des sociétés qui les portent. Il travaille actuellement sur deux plans : le premier concerne les mots empruntés à la langue arabe, le second la nomenclature céleste antique, notamment la babylonienne et l'arabe.

 

Certains scrutent le ciel pour en déchiffrer les mouvements, d'autres tentent de l'interpréter. Tous ont un jour, du temps d'ailleurs où les professions d'astronome et d'astrologue étaient une, eu besoin de nommer les corps célestes. Ces noms, surtout ceux, nombreux, des étoiles, mais aussi des constellations, ne se contentent pas de désigner, ils nous racontent un bout de l'histoire du ciel tel qu'il fut identifié par les savants des temps anciens. Roland Laffitte, spécialiste des langues sémitiques, s'est attaché à décortiquer la nomenclature céleste antique, ce qui lui a. permis notamment de mettre en lumière une voie de transmission linguistique des Babyloniens aux Arabes, par le biais des Syriaques. Une enquête minutieuse et passionnante, dont il livre la "substantifïque moelle" dans un ouvrage coédité par la librairie orientaliste Paul Geuthner et Les Cahiers de l'Orient en 2001 : « Héritages arabes : Des noms arabes pour les étoiles ».

 

-    NS : Roland Laffitte, quel a été votre fil conducteur dans cette recherche linguistique sur les noms arabes des étoiles ?

-    RL : Je travaille sur les mots arabes et orientaux dans les langues européennes. Ma motivation première est de valoriser l'apport arabe dans le lexique français. Le champ céleste n'avait pas réellement été exploré du point de vue de la linguistique. Deux tiers des noms d'étoiles sont arabes, mais tous ne pouvaient être justifiés de la même façon. Je suis parti des dictionnaires et des catalogues, et cela m'a amené à explorer l'histoire, la culture et la mythologie grecque, arabe, persane, syriaque et babylonienne !

 

-    NS : Mais les Arabes n'ont-ils pas repris les dénominations de Ptolémée ?

-    RL : Justement, seule la moitié des désignations peut être expliquée ainsi. L'autre moitié provient de l'imaginaire arabe. Or, d'où vient cet imaginaire, et quel est le ciel arabe ancien ? C'est ce que je me suis appliqué à découvrir, en établissant la genèse des noms d'étoiles et des constellations. Les sources sont multiples : la mythologie arabe ancienne en est une, qui comprenait vingt à trente divinités astrales ayant laissé une trace dans la nomenclature céleste. L'Aigle, par exemple, était une divinité chez les Yéménites anciens d'où vient le nom de Véga, en arabe [Al-Nasr Al-IWaqi' "[l'Aigle] fonçant", de même que, chez les anciens Arabes, Al-Thuraya/Soraya, c'est-à-dire, les Pléiades. Aldebaran est "la suivante", car elle se situe dans la mansion lunaire qui suit celle de Al-Thuraya/Soraya.

 

-    NS : Les mansions lunaires seraient donc à l'origine d'un certain nombre de noms d'étoiles ?

-    RL : En effet. La conception indienne puis persane des mansions a influencé les Arabes, mais ils en ont fait une synthèse adaptée à leur calendrier, et leur ont donné leur propre dénomination. La première liste des mansions que nous connaissons date d'environ 780 ; c'est celle de Mâlik Ibn Anas. Ces noms ont été empruntés par les Européens dès Alchandre au Xe siècle. Ils figuraient sur l'astrolabe, et furent transmis aux astronomes et aux marins occidentaux, qui les reproduisirent sur leurs instruments.

 

-    NS :Les autres noms d’étoiles et de constellations ne viennent-ils pas directement de Babylone par le biais des Grecs ?

-    RL : Les constellations existaient à Babylone, mais sans organisation entièrement achevée. Les Grecs ont rationalisé le ciel : ils ont gardé une partie des noms babyloniens de constellations, adapté et renommé l'autre. Mais l'apport culturel et linguistique n'a été qu'en partie transmis des Babyloniens aux Arabes par les Grecs, l'autre partie le fut par l'intermédiaire des Chrétiens d'Orient, dont la langue était un dialecte araméen. Un des pôles de diffusion de la science antique, mésopotamienne comme grecque, était situé à Al-Hîra, une ville du Sud de l'Iraq, à partir du Vie siècle, l'autre étant Harran, en Mésopotamie septentrionale, d'où sortirent de célèbres astronomes de l'époque classique comme Al-Battânî et Thâbit Ibn Qyrra. C'est pourquoi les noms arabes des signes du zodiaque présentent de grandes familiarités avec les noms syriaques : le Sagittaire par exemple est chez les Arabes al-Qaws "l'Arc" comme il peut s'appeler Qestâ chez les Syriaques, là où la traduction du grec est Al-Râmî "l'Archer". Les Arabes héritent donc de la synthèse syriaque de Babylone, de la Grèce et de la Perse. Les dénominations sont voisines de celles des grecs, mais pas tout à fait identiques.

 

-    NS : Nous avons peu d'informations sur le zodiaque arabe. Comment l'expliquez-vous ?

-    RL : Il se trouve que la naissance du zodiaque arabe n'a pas encore été étudiée... Pourtant, ce zodiaque était quelque peu différent de celui des Grecs. Lorsque les érudits commencèrent à traduire les ouvrages grecs, au début du Ville siècle, les appellations du zodiaque arabe étaient si bien établies qu'elles ne montrèrent aucune propension à se laisser influencer par celles qui étaient fraîchement traduites du grec. Les deux nomenclatures zodiacales furent bien transmises à partir de la même matrice mésopotamienne, mais par des voies différentes

 

Roland LAFFITTE

 

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