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Astrologie et Statistiques |
« Le Dossier Astrologie » - Gunter Sachs par Didier Castille
La technique statistique Elle est simplissime. Il s'agit d'utiliser des fichiers administratifs qui fournissent des informations individuelles en rapport avec des comportements humains (mariages, décès, études, etc.), de regrouper les individus selon leur signe solaire, de comparer ces groupes à une population théorique et d'évaluer l'importance des divergences entre le réel et la théorie par une statistique du khi2. Les questions que l'on peut se poser sont donc tout aussi simplissimes. Les fichiers statistiques sont-ils fiables, le regroupement des individus selon leur signe solaire est-il correctement fait, la population théorique est-elle judicieusement choisie, la statistique du Khi2 est-elle adaptée? Les sources Gunter Sachs a une confiance aveugle dans les sources qu'il utilise et il ne lui vient jamais à l'esprit qu'elles sont contestables. Un vrai statisticien ne commet pas cette erreur car c'est son métier de repérer des attitudes déviantes. Il sait mieux que personne que la nature est faillible, qu'une erreur peut toujours surgir. C'est pour cette raison que des statistiques de qualité sont réalisées dans l'industrie par exemple : sur une chaîne de production, des sondages sont régulièrement réalisés afin de minimiser les risques d'anomalies. Dans le cas des documents administratifs, ce sont des hommes et des femmes qui les remplissent. Pourquoi ne se tromperaient-ils pas? J'insiste sur ce point dans mon étude sur les mariages. Dans les fichiers de l'Insee, j'ai repéré des gens nés un 30 février ou un 31 juin ; ils sont peu nombreux mais il s'agit d'erreurs de transcription flagrantes. Mais qu'en est-il des autres, les invisibles? Je sais aussi que certaines personnes ne connaissent pas leur date de naissance avec précision (des immigrés d'Afrique du Nord, par exemple) : ai-je pour autant trouvé des dates de naissances non renseignées dans le fichier de l'Insee? Pas la moindre. Elles ont de toute évidence été redressées par les statisticiens pour assurer la cohérence des fichiers, ce qui est tout à fait légitime. J'ai remarqué également que les mariages entre personnes nées exactement le même jour sont plus fréquents qu'en théorie (6 400 au lieu de 1 900, ce qui est énorme) : on pourrait conclure très hâtivement à un phénomène astral mais je pense plutôt qu'il s'agit d'erreurs de recopie ou de saisie des documents. Combien pèsent en effet 4 500 mariages dans un total de plus de 14 millions. Il doit bien arriver que les agents de l'état civil se trompent (une fois sur mille, pourquoi pas?) et recopient la même date de naissance pour les deux époux. Il me parait donc très important d'être vigilant quant à la qualité des sources. Il faut toujours faire un travail de relecture des données pour vérifier qu'elles ne comportent pas d'erreurs, surtout quand, au final, on obtient des résultats faibles. Regroupement des individus selon le signe solaire Gunter Sachs n'y va pas avec le dos de la cuillère. Il se contente d'utiliser un calendrier très classique comme on en trouve dans les horoscopes des magazines et ne se préoccupe pas du tout des transitions de signes. Or, si l'on utilise des éphémérides correctes, on s'aperçoit que le Bélier commence parfois le 20 mars, parfois le 21 mars. Je l'avoue, je chipote mais, je le rappelle, les résultats que Sachs obtient sont, certes significatifs, mais faibles. Et qu'en est-il de ces 365 jours un quart que l'on cherche à emboîter dans un zodiaque de 360°? Il y a fatalement 5 jours qui viennent grossir artificiellement les rangs de certains signes : cela représente tout de même 1,4% d'une année. Et les décalages significatifs que Sachs a repérés entre le réel et la théorie sont la plupart du temps inférieurs à 5%. Sans compter que, tout comme les mois, certains signes comportent 30 jours, d'autres 31. Voici un dérèglement de plus lié au calendrier. La figure suivante représente la répartition en signes des populations théoriques que Gunter Sachs a utilisées. J'en reparlerai tout à l’heure mais je voudrais ici attirer l'attention sur le fait que les Bélier et les Gémeaux sont toujours plus nombreux que les Taureau ou les Cancer. Phénomène astrologique? Non, seulement des signes de 31 jours et d'autres de 30 : l'erreur induite ici peut atteindre 3%. Les populations théoriques II est très important de bien les définir... Une part non négligeable des décalages entre réel et théorie est forcément induite par la population théorique. Pourtant, Gunter Sachs a pris soin de bien définir ses populations de référence mais, néanmoins, elles suscitent un doute. Pour enfoncer le clou, je prendrai l'exemple de l'analyse sur les suicides qui n'a pas été menée correctement. L'allure vaguement sinusoïdale de l'histogramme de la page 167 met la puce à l'oreille : c'est trop beau! Sachs compare la population des suicidés à celle de l'ensemble des décédés. Tout le monde sera d'accord avec moi, les suicidés sont nettement plus jeunes que les autres décédés. Or, il se trouve que la représentation des signes dans la population française varie dans le temps (voir mon article décrivant les Français au recensement de 1990). Auparavant, il y avait beaucoup plus de Poissons, Bélier, Taureau dans l'ensemble des naissances. Cette concentration printanière subit une translation progressive depuis une trentaine d'années vers les signes d'été. Il y a aujourd'hui beaucoup plus de Gémeaux, Cancer et Lion dans l'ensemble des naissances (je viens d'apprendre que la situation est identique chez les anglais). Sachs compare des suicidés (jeunes) qui sont, en caricaturant, plus fréquemment des Cancer à des décédés (vieux) qui sont plus fréquemment des Taureau. Dans ces conditions, on obtient mécaniquement de forts décalages.
La statistique du Khi2 Certes, elle est très employée pour évaluer l'importance des écarts que l'on observe entre une répartition réelle et une répartition théorique. Il s'agit d'élever tous les écarts constatés, de les élever au carré, de rapporter ces produits aux valeurs théoriques et d'en faire la somme (c'est le Khi2). Les écarts sont élevés au carré pour éviter d'avoir des + et des - qui se neutraliseraient. En conséquence, plus la population est grande et plus un simple écart relatif de 1% se traduira par un écart absolu important. Élever au carré cet écart produira fatalement un Khi2 élevé. On aura beau jeu alors de dire que les écarts sont très significatifs. Les statisticiens disent que le Khi2 n'est pas assez robuste avec de grandes populations. Et c'est le cas des populations de Sachs. Prenons par exemple le tableau de la page 141. Les employés et ouvriers sont extrêmement nombreux. De fait un simple écart de -1 760 chez les Bélier (-0.8%) devient très significatif alors qu'un écart de 191 chez les cadres Vierge (+1.0%) ne l'est pas. On peut dire la même chose pour l'étude sur les décès : les cas d'infarctus sont très nombreux. Le Khi2 n'est pas une baguette magique statistique et il faut s'en méfier. Combien d'astrologues lui accordent une confiance inébranlable... De plus, la statistique du Khi2 permet de chiffrer la probabilité d'apparition d'un phénomène mais elle ne dit pas que le phénomène ne se produira jamais, même si le risque est infime. Tout peut se produire, c'est le principe du hasard. Je ne m'étonne donc pas de voir, ça et là, des résultats significatifs dans les tableaux de Sachs : ils étaient fortement improbables mais pas impossibles. Les expériences Je vais commencer rapidement par celles qui ne sont pas vraiment intéressantes, pour toutes les raisons que je viens de lister. • Qui divorce... : faire un test sur les coefficients de divorce, c'est un peu tordu. • Qui vit seul... il y a un effet lié aux âges • Qui fait des études... : les écarts sont disséminés et sont peu importants en valeur absolue • Qui exerce un métier... : la population est très importante et très hétérogène d'un métier à l'autre • Qui meurt ... : population importante et hétérogénéité des causes de décès • Qui se suicide... : il y a un fort effet d'âge • Qui commet des délits... : résultats peu probants • Qui conduit comment...: alternance marquée des signes masculins et féminins ; il y a un effet dû au nombre de jours des signes Par contre : • Les livres astrologiques : l'étude est amusante et les résultats sont très marqués. Mais on compare ici les acheteurs avec des gens de moins de 40 ans. Il y a peut-être un effet d'âge car l'histogramme est assez sinusoïdal. • Les mariages : II y a ici une réelle découverte, même si les résultats sont faibles en valeurs absolues. Les sources peuvent être jugées fiables puisque les fichiers suisses et français aboutissent aux mêmes résultats. Pour les statistiques françaises, j'ai tenu compte de certaines erreurs de transcription flagrantes. De plus, j'ai tenu compte des problèmes de calendrier. La population théorique est évaluée au mieux puisqu'elle résulte d'un calcul qui tient compte des répartitions des hommes et des femmes individuellement. Le problème du nombre de jours qui composent les signes ne se posent pas non plus. Il y a bien entendu le problème de la robustesse du Khi2 qui m'aurait gêné s'il n'y avait eu la diagonale des couples de même signe. Les valeurs significatives ne sont pas disséminées, le tableau a une forme. Mais Gunter Sachs ne l'a pas vu, les mariages suisses n'étant pas assez nombreux pour ça. Je terminerai en disant que Gunter Sachs a réalisé ses expériences de façon très scientifique, ce qui est très rare dans la recherche astrologique. Ses hypothèses sont toujours très bien posées avant l'expérience et de façon très neutre. Il ne dit pas « je vais démontrer qu'il y a un lien entre les mariages et les astres » mais « je vais démontrer qu'il n'y a pas de lien entre astres et mariages ». Il en conclut ensuite que son hypothèse de départ était fausse. Car c'est ainsi qu'il faut procéder, sans a priori et de façon neutre. Si je commence une étude en disant, au hasard, « les astrologues disent depuis fort longtemps que les directions primaires sont une réalité et je vais démontrer qu'ils avaient raison », il est clair que j'arriverais toujours à mes fins, même en toute bonne foi. De plus, ses explications sont très claires, très pédagogiques. Mais il ne faut pas perdre de vue que les analyses de Gunter Sachs ne démontrent rien, comme d'ailleurs toutes les études qui décrivent des phénomènes. La statistique établit des constats et elle appelle une théorie. Il ne faut surtout pas croire qu'elle amène une explication, tout juste peut-on en envisager une. Ce qui est certain, c'est qu'ici, les résultats n'apportent aucunes explications astrologiques, même si Gunter Sachs s'y risque. Les statisticiens diront que les mariages ne se concluent pas au hasard sur le simple fait qu'ils ont distingué un phénomène, certes tout petit mais significatif et universel. Mais, dans l'esprit, ils sont très loin des astrologues et leur ordonnancement cosmique. J'en veux pour preuve les témoignages des quelques scientifiques allemands qui ont bien voulu prêter main forte à Gunter Sachs et qui figuraient dans le dossier de presse. Ils disent tous que la méthode de Sachs est bonne et que les résultats les intriguent. Mais aucun ne prend le risque de dire que les conclusions sont bonnes. Cela ne signifie pas qu'ils ne veulent pas se mouiller car je crois qu'en fait ils sentent très bien que le fossé entre les constats et l'astrologie est grand. Trouvera-t-on jamais une théorie? Le livre donne quelques bonnes pistes et il incite à poursuivre les recherches. De plus, son impact public a été très important en Allemagne. Didier Castille |