les "Astro Plumes"

Le sacre de l'astrologie

 
par
André BARBAULT

Le climat public de l’astrologie, dans ses oscillations naturelles , connaît depuis quelques temps un déclin visible, la condition même d’astrologue y étant mal vécue. J’en ai pour preuve le témoignage du Président de la F.D.A.F., Alain de Chivré, qui, dans le  numéro (47) de La Lettre des Astrologues (automne 2007) en arrive à relancer un débat sur de nouvelles appellations de la matière que nous traitons et du titre sous lequel nous nous présentons !

Pour en être là, il faut bien qu’un malaise profond  règne dans le milieu et nul doute que la cause du trouble soit dans le spectacle d’un galvaudage charlatanesque effroyable et d’une pratique miséreuse où, surtout, les prévisions mondiales sensationnelles ratées de l’entrée du siècle ont eu leur effet dévastateur, la friandise populaire ayant son revers.

J’avais déjà connu du semblable il y a un demi-siècle et il m’a fallu me guérir de la honte que je ressentais  à me présenter comme astrologue. Mais, pour autant, dans  une telle misère, faut-il renoncer au langage consacré, comme si l’on devait se défroquer ?

En son temps, Choisnard, qui était passé par là lui aussi pour d’autres raisons, avant même la vulgarisation stupide qui nous envahit aujourd’hui, a également débattu du recours au néologisme, pour finalement l’avoir franchement rejeté. Et ses raisons demeurent, le changement d’étiquette sur le flacon ne changeant pas son contenu. Et surtout, pourquoi renoncer à la spécificité du terme, la perfection, la pureté, la noblesse même des mots  que sont « astrologie » et « astrologue », venus de si loin,  et demeurant parce que allant de soi, alors que les néologismes successifs tentés au siècle écoulé – nul besoin même de les rappeler - telles les feuilles mortes que je vois tomber de l’arbre devant moi en cette entrée de novembre, ont  disparu les uns derrière les autres ? Nul doute que pour sortir de ce marasme, le seul recours est que chaque astrologue se redresse et fasse prospérer de son mieux une astrologie de qualité qui le rende heureux par l’excellence de ses résultats avec la reconnaissance qui en sera faite, le public étant aussi ou pouvant devenir celui qu’on mérite.

 

Le malaise me paraît encore plus profond lorsque j’apprends, et j’en suis peiné, que la Fédération en question en vient même à remettre en cause la « pronostication » elle-même, qui était l’ambitieux art conjectural des anciens. Si le Président en arrive là, c’est par souci d’éthique d’un confrère qu’humilie en sa personne – comment ne pas le comprendre et peut-on lui en faire le reproche ? – le fiasco de prédictions  qui choquent par tant d’irrespect du savoir traditionnel et si peu de responsabilité de prévisionniste. Mais l’échec d’une prévision n’est, après tout, qu’une accidentelle faillite de l’art que j’assimile à du non-être d’astrologue aboutissant à une tombe de l’astrologie. Tandis que sa vivante réussite – elle existe heureusement – en est le couronnement. Si bien que, malgré le mal du ratage – car prévoir est l’opération de l’esprit la plus difficile qui soit en ce monde, et dans tous les domaines, le nôtre compris en dépit de son substrat astronomique infaillible – il faut sauvegarder cette mission supérieure de l’art d’Uranie, sous condition nécessaire de s’y montrer à la hauteur.

 

Nous sommes là, d’ailleurs, en présence d’un renoncement qui va à contre-courant de l’histoire, puisque maintenant aucune discipline de l’esprit n’échappe à la nécessité de prévoir. Et rien n’est plus naturel. Nous ne pouvons vivre le  présent isolé de ce qui précède et de ce qui suit,  sans surtout se demander où il nous mène, notre installation temporelle sur la durée allant de soi et imposant une continuité unitaire de la vie : adossé à hier, notre aujourd’hui se projette sur demain, poussé qu’il est par le premier autant que tiré ou attiré par le second, la qualité de notre existence exigeant justement de discerner le mieux possible ce « vers où l’on va ».

 Ce rappel nécessaire nous repositionne en tandem « être-devenir » :   configuration d’une toile de fond porteuse des potentialités de l’humain à sa souche, autant que plate-forme sur laquelle se dresse la dimension évolutive d’un vécu existentiel de ces tendances dans le débit du temps. Cette seconde séquence de l’être dans la durée s’impose d’elle-même.

Au surplus, la seule certitude sur l’avenir que nous autres humains ayons sur cette Terre est précisément le cours des astres, dans un dévoilement à perte de vue du perpetuum mobile qui n’a pas de secret pour nous. Or, c’est cet atout unique que nous avons justement entre nos mains, bien évidemment chargé d’une finalité d’anticipation du lendemain.

Je vous en prie, ne prétextez pas du massacre encouru de son exercice par d’indignes ou incapables confrères pour jeter l’enfant avec l’eau du bain. Bien sûr, la prévision ne se traite pas à la légère et il faut y mettre le prix, alors que, comme à table, la consommation astrologique a ses « bas morceaux » de pratique divinatoire, l’astrologie horaire – dont j’ai crû longtemps qu’elle était une branche morte du tronc de l’arbre astrologique : elle a la vie dure ou faut-il la révolutionner ? – en étant la plus grande pourvoyeuse et de si misérable façon. Et il y a forcément un risque extrême à  prédire, le mot lui-même étant du même coup malfamé (encore que les savants l’utilisent, mais eux peuvent se le permettre), la prévision seule gardant ici sa dignité.

J’ai cru comprendre, d’une lecture récente, que seule la configuration en soi mériterait ce titre, ce qui en est déduit devant se disqualifier prédiction. Ce serait là méconnaître la distance qui sépare les deux termes, situés à deux niveaux différents de la tentative de saisie du futur. Si la prédiction s’entend le plus souvent comme produit « sauvage » de jet-tout-cru d’une configuration dont s’empare l’intuition , et considérablement risquée puisque finalisée à quelque chose de particulier, d’unique pourrait-on dire, en diffère du même coup tout à fait la prévision comme interprétation rationnelle élaborée, formulant une valeur de tendance, laquelle s’applique au « ou bien ou bien » d’équivalences symboliques au caractère analogue commun (ce que connaissent les psychanalystes avec le phénomène de substitution d’un état à un autre). Ce qui est naturel puisque le fait vécu en tant que tel est hors d’inscription, un extérieur en tout cas ignoré de l’écriture astrale, laquelle n’en livre que ce qui en est intérieurement ressenti, c’est-à-dire son contenu purement subjectif. Mais, dès lors, l’aventure est-elle si risquée ?

Et si je disais même qu’il est beaucoup plus facile de se livrer proprement à un exercice prévisionnel élémentaire que de s’embarquer à embrasser la signification psychologique d’ensemble d’une quelconque configuration, vécue d’ailleurs si différemment d’un âge à un autre  de la vie ?

C’est dans l’incarnation de notre existence, au fur et à mesure qu’elle se débite à travers ce qui s’y passe, que nous découvrons qui nous sommes, notre être en exercice de vivre s’y dévoilant dans notre devenir, ses manifestations du dehors étant plus perceptibles que notre silencieuse intériorité. Eh bien ! c’est à portée de main que nous en avons une modeste application d’une façon vivante. Observez banalement le simple transit annuel de la conjonction du Soleil (modulé par ses aspects du moment qui en font une application positive ou négative) sur chacune de vos positions planétaires, son passage actualisant celle-ci sur le champ, et vous apprendrez quelque chose du vécu ou du ressenti de votre configuration transitée, dans le langage de sa tendance. Surtout si vous comparez ce même transit solaire d’une année sur l’autre, compte-tenu de la qualité solaire chaque fois différente, et plus encore si vous faites la comparaison avec les oppositions solaires aux même positions. C’est cela, à la base, la prévision véritable. Elle ne dit pas comment, en sourdine généralement ou occasionnellement  avec éclat, vous allez vivre ce banal petit transit de quelques jours, ce qui va – ou ne va pas – s’y passer en matière d’événement, de situation, ou simplement en état d’âme ou climat moral ; mais une petite note s’y fait entendre qui livre le « sens » du vécu ou du perçu en question, et c’est cela l’essentiel. Rien ne vous empêche d’aller plus loin dans votre investigation, en imaginant  - pourquoi pas ? - quelque chose de particulier qui peut arriver dans le climat que vous vivrez alors, mais vous glissez là sur le terrain divinatoire, votre intuition pouvant, certes, y faire merveille en réussissant votre prédiction, aussi bien qu’elle peut  carrément vous mystifier, ce qui est là, toutefois,  une autre histoire...

Là ne s’arrête pas l’invitation à croiser le capital foncier de l’assiette psychologique du thème au vecteur de son déroulement dans le temps pour un résultat intégral. Car non seulement, en unijambiste, vous vous privez des ressources prévisionnelles qui vous sont offertes, mais encore, vous faites entrave à la nécessité d’une véracité de sa connaissance. Car, le savoir à acquérir, on ne le prend en main soi-même qu’en contrôlant personnellement la valeur de chaque facteur utilisé. Or, le terrain purement psychologique se prête mal à un tel contrôle et il faut avoir recours à la saillie du risque, au radical tout ou rien du résultat prévisionnel.

HOMME-FEU : bois de D. Galanis illustrant Une Saison en astrologie de Léon Paul Fargue, Edition de l’Astrolabe, Paris, 1945. Création de l’esprit à valeur d’érection, de conquête  aux calories de la passion, la prévision est un flamboiement astrologique.

Si vous saviez comment j’admire – si j’ose dire – le troupeau d’innocents moutons de Panurge embringués maintenant dans de mirifiques interprétations de Chiron, alors que rien - strictement rien, je vous l’affirme et je sais ce que je dis - n’a été fait pour établir la moindre valeur des manifestations de ce rien du tout (alors qu’il faut déjà pressurer nos planètes mastodontes à dizaines de satellites pour les faire vraiment parler) !

Parce que, en une bulle neptunienne collective, en cœur on y croit… Et je me vois revenu à mes dix-huit ans où ma naïve vérité tenait au credo de la rhétorique de mes lectures. Il fallut le choc terrible d’un fiasco prévisionnel monumental pour vider ma cervelle de mes chimères et ce fut la plus grande, la plus profitable leçon d’astrologie que je reçus de toute ma vie ! Cette histoire, déjà citée, s’est passée à l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale en 1939. Mon frère Armand et moi avions passé des journées entières à sonder les thèmes mondiaux : ingrès, éclipses, lunaisons, Société des Nations, Etats, chefs d’Etat, révolutions solaires, etc..., pour conclure avec conviction que la guerre n’aurait pas lieu. Imaginez la bulle géante d’illusion nous pétant en pleine gueule ! Ce qui nous avait froidement douché et remis l’esprit au contact des réalités, les pieds sur terre : nous étions devenus des astrologues enfin adultes, apprenant petit à petit à pressentir le cours de la guerre... Mais, et si l’on ne s’était pas mesurés à cette épreuve ? Question primordiale …

 

C’est surtout en se trompant qu’on apprend, grâce à la sanction salutaire de l’échec, et plus flagrant est celui-ci, plus profitable en est la leçon. Il faut laisser sa foi au vestiaire – mais encore faut-il en prendre conscience, un examen auto-critique s’imposant - et ne pas craindre de se « jeter à l’eau » à son compte personnel dans l’expérimentation prévisionnelle, afin, justement, de savoir si l’on est vraiment dans le vrai, ce qui est la manière la plus sûre de forger son savoir pour devenir un astrologue adulte.

 

J’attaque en ce moment une étude nouvelle sur les catastrophes naturelles, dossier en dépôt depuis des décennies où je suis immobilisé dans une incapacité prévisionnelle dont je pense ne jamais pouvoir sortir. En même temps que j’interpelle un travers malheureusement répandu : le sempiternel exercice de collègues qui lisent si bien astrologiquement ce qu’ils connaissent déjà, c’est à dire ce qui est arrivé, en incriminant telle éclipse de Soleil, tel ingrès ou telle lunaison, à propos de tel séisme, cyclone ou raz de marée, croyant avec assurance avoir déniché la cause astrale de la perturbation naturelle survenue. Justification forcément suspecte parce que sans renvoi d’ascenseur, la prévision du même type d’événement par le même moyen brillant par son absence. Or, une telle impasse rejoint le blocage où je me trouve devant ces catastrophes naturelles, au point de m’interdire toute prévision du genre. Car cela aussi doit être dit : de toute façon, on ne peut pas tout prévoir.  Mais, ce que je sais mieux, en revanche  - et cela, cette fois, j’en suis même sûr – c’est ce qu’il ne faut pas faire, m’adressant ainsi à mes collègues finalement en panne eux aussi.

Immobilisés de toute façon dans un passif, il faut à tout prix que vous cessiez de vous contenter du fait a posteriori en restant uniquement d’incorrigibles suiveurs de l’histoire, d’éternels justificateurs de ce qui est arrivé, planqués aux basques ou à la traîne de l’événement connu. Ce qui est, du même coup, échapper aux lueurs d’une inconsciente foi astrologique si docile à mettre la configuration à toutes les sauces, ayant toujours dans sa besace de quoi trouver une explication à ce que l’on sait déjà, allant au besoin chercher des fraises au pôle Nord pour se tirer d’affaire ou en usant même du faux-nez, bref naviguant sur une opération en trompe l’œil qui tourne en rond autour du sujet sans jamais l’atteindre. Alors qu’il ne faut pas cesser de se confirmer.

Or, on ne sort de ce cercle vicieux qu’en allant jusqu’au bout de sa démarche corrélationnelle qui lie sans faille la configuration à sa manifestation dans le continuum d’un glissement du passé au futur, sur la même piste demain devant se confirmer comme prolongement d’hier et d’aujourd’hui, la transcendance de la prévision – c’en est une comme dépassement du connaître - faisant le salut de l’astrologie en cautionnant la connaissance du praticien : mission accomplie d’un aboutissement qui dispense du bavardage dans le vide.

Ainsi percevons-nous bien, ici, l’importance et même la nécessité de la démarche prévisionnelle comme ressource de confirmation ou d’infirmation de son savoir, comme preuve de vérité à se donner à soi-même, sinon comme moyen de se corriger.

 

Certes, la prévision ne s’impose pas comme une obligation astrologique, et, du moment qu’il en use pour lui-même à titre d’auto-vérification de son savoir, le praticien qui, par conscience ou selon son éthique, se refuse à prévoir pour les autres  - il y a aussi des raisons parfaitement valables à cela - est un confrère tout à fait estimable, son seul champ d’investigation psychologique se suffisant largement  à lui-même. Outre qu’en face  n’existe que trop le danger d’abuser  de son pouvoir prévisionnel ou de le mal exercer. Car il est bien évident qu’en pleine conscience de ses responsabilités, on ne peut prévoir que prudemment, d’une main tremblante et en ne traçant qu’une silhouette, en ne brossant qu’une esquisse, mais toutefois pour aboutir à un jaillissement du futur. Aussi imparfaite même que soit cette échappée d’inconnu du pronostic, distante en cela du potage neptunien de lueurs interprétatives trop généralement convenues, sa touche de réalité n’en est pas moins là. Et si le risque d’erreur existe – fallait-il qu’on me poussât à le dire ? – je confesse qu’il n’en faut pas plus  pour me piquer au jeu, il est vrai, le plus souvent dans le choix de  circonstances judicieuses. Mais il n’est nulle chose au monde autant que cette conquête du futur qui me soit si intensément désirée, et c’est même comme un émoi amoureux que j’éprouve lorsque ayant, de loin surtout, pipé la substantifique moelle de la configuration, l’écho m’en est rendu par elle à l’accomplissement de son échéance. Et dussé-je me tromper – à dire vrai, cela m’arrive inévitablement – que Dame Uranie est là qui m’honore de la plus parfaite leçon qui soi, comme elle est seule à pouvoir le faire devant ma défaillance. Mais mon plaisir est de conclure ce débat en clamant cette vérité que, dans toute sa dignité, la prévision réussie est vraiment le sacre de l’astrologie.

 

Paris le 6 novembre 2007.

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