Le climat public de
l’astrologie, dans ses oscillations naturelles , connaît
depuis quelques temps un déclin visible, la condition
même d’astrologue y étant mal vécue. J’en ai pour preuve
le témoignage du Président de la
F.D.A.F., Alain de Chivré, qui, dans le numéro
(47) de La Lettre des Astrologues (automne 2007)
en arrive à relancer un débat sur de nouvelles
appellations de la matière que nous traitons et du titre
sous lequel nous nous présentons !
Pour en être là, il faut
bien qu’un malaise profond règne dans le milieu et nul
doute que la cause du trouble soit dans le spectacle
d’un galvaudage charlatanesque effroyable et d’une
pratique miséreuse où, surtout, les prévisions mondiales
sensationnelles ratées de l’entrée du siècle ont eu leur
effet dévastateur, la friandise populaire ayant son
revers.
J’avais déjà connu du
semblable il y a un demi-siècle et il m’a fallu me
guérir de la honte que je ressentais à me présenter
comme astrologue. Mais, pour autant, dans une telle
misère, faut-il renoncer au langage consacré, comme si
l’on devait se défroquer ?
En son temps, Choisnard,
qui était passé par là lui aussi pour d’autres raisons,
avant même la vulgarisation stupide qui nous envahit
aujourd’hui, a également débattu du recours au
néologisme, pour finalement l’avoir franchement rejeté.
Et ses raisons demeurent, le changement d’étiquette sur
le flacon ne changeant pas son contenu. Et surtout,
pourquoi renoncer à la spécificité du terme, la
perfection, la pureté, la noblesse même des mots que
sont « astrologie » et « astrologue », venus de si loin,
et demeurant parce que allant de soi, alors que les
néologismes successifs tentés au siècle écoulé – nul
besoin même de les rappeler - telles les feuilles mortes
que je vois tomber de l’arbre devant moi en cette entrée
de novembre, ont disparu les uns derrière les autres ?
Nul doute que pour sortir de ce marasme, le seul recours
est que chaque astrologue se redresse et fasse prospérer
de son mieux une astrologie de qualité qui le rende
heureux par l’excellence de ses résultats avec la
reconnaissance qui en sera faite, le public étant aussi
ou pouvant devenir celui qu’on mérite.
Le malaise me paraît
encore plus profond lorsque j’apprends, et j’en suis
peiné, que la Fédération en question en vient même à
remettre en cause la « pronostication » elle-même, qui
était l’ambitieux art conjectural des anciens. Si le
Président en arrive là, c’est par souci d’éthique d’un
confrère qu’humilie en sa personne – comment ne pas le
comprendre et peut-on lui en faire le reproche ? – le
fiasco de prédictions qui choquent par tant d’irrespect
du savoir traditionnel et si peu de responsabilité de
prévisionniste. Mais l’échec d’une prévision n’est,
après tout, qu’une accidentelle faillite de l’art que
j’assimile à du non-être d’astrologue aboutissant à une
tombe de l’astrologie. Tandis que sa vivante réussite –
elle existe heureusement – en est le couronnement. Si
bien que, malgré le mal du ratage – car prévoir est
l’opération de l’esprit la plus difficile qui soit en ce
monde, et dans tous les domaines, le nôtre compris en
dépit de son substrat astronomique infaillible – il faut
sauvegarder cette mission supérieure de l’art d’Uranie,
sous condition nécessaire de s’y montrer à la hauteur.
Nous sommes là,
d’ailleurs, en présence d’un renoncement qui va à
contre-courant de l’histoire, puisque maintenant aucune
discipline de l’esprit n’échappe à la nécessité de
prévoir. Et rien n’est plus naturel. Nous ne pouvons
vivre le présent isolé de ce qui précède et de ce qui
suit, sans surtout se demander où il nous mène, notre
installation temporelle sur la durée allant de soi et
imposant une continuité unitaire de la vie : adossé à
hier, notre aujourd’hui se projette sur demain, poussé
qu’il est par le premier autant que tiré ou attiré par
le second, la qualité de notre existence exigeant
justement de discerner le mieux possible ce « vers où
l’on va ».
Ce rappel nécessaire nous
repositionne en tandem « être-devenir » :
configuration d’une toile de fond porteuse des
potentialités de l’humain à sa souche, autant que
plate-forme sur laquelle se dresse la dimension
évolutive d’un vécu existentiel de ces tendances dans le
débit du temps. Cette seconde séquence de l’être dans la
durée s’impose d’elle-même.
Au surplus, la seule
certitude sur l’avenir que nous autres humains ayons sur
cette Terre est précisément le cours des astres, dans un
dévoilement à perte de vue du perpetuum mobile
qui n’a pas de secret pour nous. Or, c’est cet atout
unique que nous avons justement entre nos mains, bien
évidemment chargé d’une finalité d’anticipation du
lendemain.
Je vous en prie, ne
prétextez pas du massacre encouru de son exercice par
d’indignes ou incapables confrères pour jeter l’enfant
avec l’eau du bain. Bien sûr, la prévision ne se traite
pas à la légère et il faut y mettre le prix, alors que,
comme à table, la consommation astrologique a ses « bas
morceaux » de pratique divinatoire, l’astrologie horaire
– dont j’ai crû longtemps qu’elle était une branche
morte du tronc de l’arbre astrologique : elle a la vie
dure ou faut-il la révolutionner ? – en étant la plus
grande pourvoyeuse et de si misérable façon. Et il y a
forcément un risque extrême à prédire, le mot lui-même
étant du même coup malfamé (encore que les savants
l’utilisent, mais eux peuvent se le permettre), la
prévision seule gardant ici sa dignité.
J’ai cru comprendre, d’une
lecture récente, que seule la configuration en soi
mériterait ce titre, ce qui en est déduit devant se
disqualifier prédiction. Ce serait là méconnaître la
distance qui sépare les deux termes, situés à deux
niveaux différents de la tentative de saisie du futur.
Si la prédiction s’entend le plus souvent comme produit
« sauvage » de jet-tout-cru d’une configuration dont
s’empare l’intuition , et considérablement risquée
puisque finalisée à quelque chose de particulier,
d’unique pourrait-on dire, en diffère du même coup tout
à fait la prévision comme interprétation rationnelle
élaborée, formulant une valeur de tendance, laquelle
s’applique au « ou bien ou bien » d’équivalences
symboliques au caractère analogue commun (ce que
connaissent les psychanalystes avec le phénomène de
substitution d’un état à un autre). Ce qui est naturel
puisque le fait vécu en tant que tel est hors
d’inscription, un extérieur en tout cas ignoré de
l’écriture astrale, laquelle n’en livre que ce qui en
est intérieurement ressenti, c’est-à-dire son contenu
purement subjectif. Mais, dès lors, l’aventure est-elle
si risquée ?
Et si je disais même qu’il
est beaucoup plus facile de se livrer proprement à un
exercice prévisionnel élémentaire que de s’embarquer à
embrasser la signification psychologique d’ensemble
d’une quelconque configuration, vécue d’ailleurs si
différemment d’un âge à un autre de la vie ?
C’est dans l’incarnation
de notre existence, au fur et à mesure qu’elle se débite
à travers ce qui s’y passe, que nous découvrons qui nous
sommes, notre être en exercice de vivre s’y dévoilant
dans notre devenir, ses manifestations du dehors étant
plus perceptibles que notre silencieuse intériorité. Eh
bien ! c’est à portée de main que nous en avons une
modeste application d’une façon vivante. Observez
banalement le simple transit annuel de la conjonction du
Soleil (modulé par ses aspects du moment qui en font une
application positive ou négative) sur chacune de vos
positions planétaires, son passage actualisant celle-ci
sur le champ, et vous apprendrez quelque chose du vécu
ou du ressenti de votre configuration transitée, dans le
langage de sa tendance. Surtout si vous comparez ce même
transit solaire d’une année sur l’autre, compte-tenu de
la qualité solaire chaque fois différente, et plus
encore si vous faites la comparaison avec les
oppositions solaires aux même positions. C’est cela, à
la base, la prévision véritable. Elle ne dit pas
comment, en sourdine généralement ou occasionnellement
avec éclat, vous allez vivre ce banal petit transit de
quelques jours, ce qui va – ou ne va pas – s’y passer en
matière d’événement, de situation, ou simplement en état
d’âme ou climat moral ; mais une petite note s’y fait
entendre qui livre le « sens » du vécu ou du perçu en
question, et c’est cela l’essentiel. Rien ne vous
empêche d’aller plus loin dans votre investigation, en
imaginant - pourquoi pas ? - quelque chose de
particulier qui peut arriver dans le climat que vous
vivrez alors, mais vous glissez là sur le terrain
divinatoire, votre intuition pouvant, certes, y faire
merveille en réussissant votre prédiction, aussi bien
qu’elle peut carrément vous mystifier, ce qui est là,
toutefois, une autre histoire...
Là ne s’arrête
pas l’invitation à croiser le capital
foncier de l’assiette psychologique du thème
au vecteur de son déroulement dans le temps
pour un résultat intégral. Car non
seulement, en unijambiste, vous vous privez
des ressources prévisionnelles qui vous sont
offertes, mais encore, vous faites entrave à
la nécessité d’une véracité de sa
connaissance. Car, le savoir à acquérir, on
ne le prend en main soi-même qu’en
contrôlant personnellement la valeur de
chaque facteur utilisé. Or, le terrain
purement psychologique se prête mal à un tel
contrôle et il faut avoir recours à la
saillie du risque, au radical tout ou rien
du résultat prévisionnel. |
HOMME-FEU : bois de D.
Galanis illustrant Une Saison en
astrologie de Léon Paul Fargue, Edition
de l’Astrolabe, Paris, 1945. Création de
l’esprit à valeur d’érection, de conquête
aux calories de la passion, la prévision est
un flamboiement astrologique. |
Si vous saviez comment
j’admire – si j’ose dire – le troupeau d’innocents
moutons de Panurge embringués maintenant dans de
mirifiques interprétations de Chiron, alors que rien -
strictement rien, je vous l’affirme et je sais ce que je
dis - n’a été fait pour établir la moindre valeur des
manifestations de ce rien du tout (alors qu’il faut déjà
pressurer nos planètes mastodontes à dizaines de
satellites pour les faire vraiment parler) !
Parce que, en une bulle
neptunienne collective, en cœur on y croit… Et je me
vois revenu à mes dix-huit ans où ma naïve vérité tenait
au credo de la rhétorique de mes lectures. Il fallut le
choc terrible d’un fiasco prévisionnel monumental pour
vider ma cervelle de mes chimères et ce fut la plus
grande, la plus profitable leçon d’astrologie que je
reçus de toute ma vie ! Cette histoire, déjà citée,
s’est passée à l’éclatement de la Seconde Guerre
mondiale en 1939. Mon frère Armand et moi avions passé
des journées entières à sonder les thèmes mondiaux :
ingrès, éclipses, lunaisons, Société des Nations, Etats,
chefs d’Etat, révolutions solaires, etc..., pour
conclure avec conviction que la guerre n’aurait pas
lieu. Imaginez la bulle géante d’illusion nous pétant en
pleine gueule ! Ce qui nous avait froidement douché et
remis l’esprit au contact des réalités, les pieds sur
terre : nous étions devenus des astrologues enfin
adultes, apprenant petit à petit à pressentir le cours
de la guerre... Mais, et si l’on ne s’était pas mesurés
à cette épreuve ? Question primordiale …
C’est surtout en se
trompant qu’on apprend, grâce à la sanction salutaire de
l’échec, et plus flagrant est celui-ci, plus profitable
en est la leçon. Il faut laisser sa foi au vestiaire –
mais encore faut-il en prendre conscience, un examen
auto-critique s’imposant - et ne pas craindre de se
« jeter à l’eau » à son compte personnel dans
l’expérimentation prévisionnelle, afin, justement, de
savoir si l’on est vraiment dans le vrai, ce qui est la
manière la plus sûre de forger son savoir pour devenir
un astrologue adulte.
J’attaque en ce moment une
étude nouvelle sur les catastrophes naturelles, dossier
en dépôt depuis des décennies où je suis immobilisé dans
une incapacité prévisionnelle dont je pense ne jamais
pouvoir sortir. En même temps que j’interpelle un
travers malheureusement répandu : le sempiternel
exercice de collègues qui lisent si bien
astrologiquement ce qu’ils connaissent déjà, c’est à
dire ce qui est arrivé, en incriminant telle éclipse de
Soleil, tel ingrès ou telle lunaison, à propos de tel
séisme, cyclone ou raz de marée, croyant avec assurance
avoir déniché la cause astrale de la perturbation
naturelle survenue. Justification forcément suspecte
parce que sans renvoi d’ascenseur, la prévision du même
type d’événement par le même moyen brillant par son
absence. Or, une telle impasse rejoint le blocage où je
me trouve devant ces catastrophes naturelles, au point
de m’interdire toute prévision du genre. Car cela aussi
doit être dit : de toute façon, on ne peut pas tout
prévoir. Mais, ce que je sais mieux, en revanche - et
cela, cette fois, j’en suis même sûr – c’est ce qu’il ne
faut pas faire, m’adressant ainsi à mes collègues
finalement en panne eux aussi.
Immobilisés de toute façon
dans un passif, il faut à tout prix que vous cessiez de
vous contenter du fait a posteriori en restant
uniquement d’incorrigibles suiveurs de l’histoire,
d’éternels justificateurs de ce qui est arrivé, planqués
aux basques ou à la traîne de l’événement connu. Ce qui
est, du même coup, échapper aux lueurs d’une
inconsciente foi astrologique si docile à mettre la
configuration à toutes les sauces, ayant toujours dans
sa besace de quoi trouver une explication à ce que l’on
sait déjà, allant au besoin chercher des fraises au pôle
Nord pour se tirer d’affaire ou en usant même du
faux-nez, bref naviguant sur une opération en trompe
l’œil qui tourne en rond autour du sujet sans jamais
l’atteindre. Alors qu’il ne faut pas cesser de se
confirmer.
Or, on ne sort de ce
cercle vicieux qu’en allant jusqu’au bout de sa démarche
corrélationnelle qui lie sans faille la configuration à
sa manifestation dans le continuum d’un glissement du
passé au futur, sur la même piste demain devant se
confirmer comme prolongement d’hier et d’aujourd’hui, la
transcendance de la prévision – c’en est une comme
dépassement du connaître - faisant le salut de
l’astrologie en cautionnant la connaissance du
praticien : mission accomplie d’un aboutissement qui
dispense du bavardage dans le vide.
Ainsi percevons-nous bien,
ici, l’importance et même la nécessité de la démarche
prévisionnelle comme ressource de confirmation ou
d’infirmation de son savoir, comme preuve de vérité à se
donner à soi-même, sinon comme moyen de se corriger.
Certes, la prévision ne
s’impose pas comme une obligation astrologique, et, du
moment qu’il en use pour lui-même à titre
d’auto-vérification de son savoir, le praticien qui, par
conscience ou selon son éthique, se refuse à prévoir
pour les autres - il y a aussi des raisons parfaitement
valables à cela - est un confrère tout à fait estimable,
son seul champ d’investigation psychologique se
suffisant largement à lui-même. Outre qu’en face
n’existe que trop le danger d’abuser de son pouvoir
prévisionnel ou de le mal exercer. Car il est bien
évident qu’en pleine conscience de ses responsabilités,
on ne peut prévoir que prudemment, d’une main tremblante
et en ne traçant qu’une silhouette, en ne brossant
qu’une esquisse, mais toutefois pour aboutir à un
jaillissement du futur. Aussi imparfaite même que soit
cette échappée d’inconnu du pronostic, distante en cela
du potage neptunien de lueurs interprétatives trop
généralement convenues, sa touche de réalité n’en est
pas moins là. Et si le risque d’erreur existe –
fallait-il qu’on me poussât à le dire ? – je confesse
qu’il n’en faut pas plus pour me piquer au jeu, il est
vrai, le plus souvent dans le choix de circonstances
judicieuses. Mais il n’est nulle chose au monde autant
que cette conquête du futur qui me soit si intensément
désirée, et c’est même comme un émoi amoureux que
j’éprouve lorsque ayant, de loin surtout, pipé la
substantifique moelle de la configuration, l’écho m’en
est rendu par elle à l’accomplissement de son échéance.
Et dussé-je me tromper – à dire vrai, cela m’arrive
inévitablement – que Dame Uranie est là qui m’honore de
la plus parfaite leçon qui soi, comme elle est seule à
pouvoir le faire devant ma défaillance. Mais mon plaisir
est de conclure ce débat en clamant cette vérité que,
dans toute sa dignité, la prévision réussie est vraiment
le sacre de l’astrologie.
Paris le 6 novembre 2007. |