Les finalités d’une fédération des astrologues ne peuvent
se limiter à la promotion de ses membres.
Ce que j’ai lu sur votre
site Internet me fait augurer d’une volonté de favoriser avant tout
une revalorisation de l’astrologie. Ce « relèvement » ne peut se
faire,
il me semble, que par une nouvelle exploration de ses
fondements, compte tenu de l’évolution de l’ensemble des techniques
et des connaissances dont nous disposons aujourd’hui. L’astrologie
est riche de son passé et de sa tradition. Elle peut aussi et elle
doit ou devrait contribuer à l’émergence des nouveaux paradigmes
dont notre temps charnière a besoin.
Je pense
que, – parce que l’astrologie éclaire avant tout le fondement
structurel qui nous anime de l’intérieur –elle réclame une analyse
du sens même de notre cheminement personnel, entre l’universel et le
singulier, entre le collectif et le particulier.
Nous recevons une structure psychique en
héritage. Elle sous-tend notre histoire jusqu’à l’âge d’homme.
Puis, nous avons quelque chose à restituer, ou à offrir, dans
l’aboutissement de notre propre mise en œuvre (et que j’associe
volontiers à l’idée d’une Légende personnelle ; cf. le titre de mon
récent libre : « La Légende des signes ».)
C’est sans doute en remontant à la source
des mythes que nous pouvons retrouver ce qui a présidé à la
désignation des symboles astrologiques. Non sans considérer bien entendu que les dieux
eux-mêmes sont une émanation des conceptions humaines. C’est donc
finalement en approfondissant le psychisme humain jusqu’à ses
origines les plus archaïques que nous retrouvons la source mythique
ayant donné une valeur aux astres. Non dans une relation de
causalité, mais dans un lien de concordance. Cette concordance
présuppose que le ciel mythique et que le fondement psychique de
l’homme obéissent tous deux à une même loi, à une même structure, à
un même fondement universel.
Le symbolisme (ce mode très subtil et très
profond de la connaissance) est très précieux pour révéler le sens
des correspondances universelles. Dans toutes les cultures, les
hommes n’ont pas manqué d’inventer des récits pour s’expliquer les
origines. Comme le font la plupart des mythes, le zodiaque entend
lui aussi nous révéler à nous-mêmes. Le paradoxe est sans doute
qu’il le fait à partir de ce que nous croyons comprendre de
l’organisation des choses, tant sur la terre que dans le ciel.
Un tel discours à propos de la réalité
rassemble en fait trois dimensions essentielles :
-
la réalité
elle-même, par le biais de l’observation ;
-
l’expérience
sensible, à travers ce que l’homme vit et éprouve ;
-
et aussi (et
peut-être surtout) la mise en parallèle de ce qui existe
au-dehors (les faits observés) et de ce qui vient du dedans
(l’imaginaire).
D’où toute l’importance d’une jonction
entre ce qui est vu, perçu et vécu, dans le monde, et ce qui est
imaginé ou fantasmé, par la conscience. C’est cette jonction qui
engendre le symbole astrologique.
Tout cela revient à dire que le concept du
zodiaque se situe ou se conçoit à la charnière de trois mondes :
-
le monde de la
réalité concrète, que nous observons et que nous expliquons par
la méthode scientifique ;
-
le monde de la
pensée, telle qu’elle codifie et rationalise les phénomènes
qu’elle considère ;
-
et le monde de la
psyché (ou de l’imaginaire), tel qu’il projette sur la réalité
les impressions suggestives qui remontent des profondeurs et
qui, du même coup, se révèlent à la conscience.
Il en résulte un double bénéfice :
-
d’une part, le fait d’expérimenter les
choses et de pouvoir ensuite les codifier, permet de comprendre
rationnellement ce qui se passe. Nous nous situons là dans le
« comment » des choses.
-
d’autre part, la liaison faite entre
cette même réalité et les foisonnements de l’imaginaire, au
moment où celui-ci se projette sur le monde et où il pense y
reconnaître ce qui l’anime de l’intérieur, … cette liaison
permet subjectivement de vivre la dimension symbolique des
choses, à savoir de saisir leur force d’évocation ou encore de
déceler le « sens » que prend le monde par rapport à nous.
En résumé, si (au cours de l’histoire)
le zodiaque découle d’une observation de plus en plus savante des
configurations du ciel, il témoigne aussi et avant tout d’une
projection de l’expérience intime des hommes, tels qu’ils observent
et analysent la réalité qui les entoure, mais tels aussi qu’ils
découvrent des associations, des ressemblances et des coïncidences
entre cette réalité et ce qu’ils vivent tout au fond d’eux.
A ce compte-là, le zodiaque résulte d’un
paradoxe. A la différence des productions habituelles de
l’imaginaire, il se calque sur le modèle du ciel. Il ne semble donc
pas inventé, mais constaté. Et pourtant, tout son bestiaire et tout
son symbolisme relèvent avant tout d’une projection subjective de ce
que les hommes comprennent et éprouvent.
En définitive, si l’homme ne décide
évidemment rien quant à l’agencement des étoiles, c’est tout de même
lui qui choisit – arbitrairement, pourrait-on penser – de désigner
les constellations et d’y reconnaître (ou plutôt d’y projeter) des
figures à la fois empruntées à la réalité (un taureau, un bélier, un
poisson) et attestant d’une image, d’une sensation, d’une expérience
plus intimes ou d’une évocation plus symbolique.
A quoi cela tient-il ? Comment justifier
une telle similitude, une telle parenté, un tel parallélisme, une
telle ressemblance, une telle coïncidence… entre le ciel et nous ?
On ne le peut qu’en se reportant à l’adage des anciens : ce qui
est en bas et comme ce qui est en haut. Ou encore : ce qui est
au-dehors nous renvoie à ce qui est au-dedans…
Tel est le saut qualitatif qu’il convient
de donner à notre pensée pour rencontrer l’astrologie, véritable
fossile vivant, tel qu’elle témoigne aujourd’hui encore de
l’imaginaire projectif d’anciennes cultures et tel qu’elle désigne
notre ciel imaginaire, à la manière d’un véritable échiquier de vie
…
D’emblée,
dès notre naissance, le jeu de la vie nous pousse à nous mettre en
chemin. L’astrologie nous en propose la partition : un échiquier
de tendances, de besoins, d’aspirations qui nous destinent
à devenir « qui » nous sommes.
Pour l’astrologie Traditionnelle,
invoquer la destinée revient à considérer que nous sommes soumis à
des forces supérieures. Tout au contraire, l’astrologie,
revue en tant que discipline universelle répondant avant tout à
notre besoin de sens,
ne nous parle de notre propre légende
que pour nous en rendre complices, ce qui revient un peu à nous en
libérer.
Cette démarche implique que nous
affrontions la dimension cachée de notre histoire et que nous
l'acheminions vers notre conscience. Au risque, sinon, de rester au
fond de la caverne et de projeter notre ombre vers l'extérieur.
Le propre de l'homme est ici de
devenir conscient des conditions de son parcours. Un
chemin existe-t-il ? Notre voyage nous établit pour commencer en
périphérie, dans la réalité du monde. Puis, vient la compréhension
du « jeu » singulier dont le déroulement de notre vie témoigne.
Chaque situation nous met en scène. Ainsi
notre univers intérieur vient-il se heurter à l’écorce des choses.
Nous manifestons jour après jour notre caractère, nos intentions,
nos priorités. Réciproquement, le monde nous interpelle. Une
faculté latente est alors sollicitée et mise en chantier. Entre le
potentiel et la situation qui la met en évidence, il y a un lien de
connivence, de ressemblance.
Il
y a un miroir. C’est là qu’intervient le symbole astrologique. Il
réunit, il met en parallèle, comme dans le mythe d’autrefois. Il
désigne et il fait comprendre. Il donne sens.
Dans le zodiaque, mais aussi dans les
douze maisons astrologiques, je reconnais douze notes de
comportements sur le clavier de la vie. J’y associe bien entendu
les douze séquences qui ponctuent les quatre saisons de l’année ;
mais aussi et surtout les douze étapes d’une genèse, celle de l’être
conscient à la recherche de son propre dessein.
Ces douze étapes sont les douze marches
d’un parcours, d’une croissance, d’un accomplissement.
Chaque étape est nécessaire, alors même
que nous les avons chacun vécues et que nous continuons à les vivre
à notre façon.
En tout cela, le zodiaque facilite
la projection de ce qu'il est utile que nous nous disions à
nous-mêmes… à propos de nous-mêmes. En fait, il ne s'agit pas
de retrouver dans le zodiaque les facettes définitives de notre
personnalité, mais de proposer à notre imaginaire un parcours, à la
rencontre de nos « protagonistes » intérieurs. Une telle démarche
exclut que nous soyons de simples spectateurs. Elle exige notre
participation.
Par ailleurs, il convient de relativiser
et de délimiter notre petite part d’universalité revendiquée par
l’astrologie. A la naissance, nous avons inévitablement reçu un
premier héritage : notre hérédité biologique. A travers les gênes
que nous ont transmis nos parents, c’est en quelque sorte toute
l’histoire physique de l’humanité qui nous est « confiée ».
Je songe ici aux millions d’années qui ont été nécessaires pour
modeler l’évolution et pour nous permettre, à notre tour, de faire
partie de la grande famille humaine. C’est tout cela qui nous a été
transmis par l’hérédité, avec bien entendu des particularités
physiques et biologiques léguées plus directement par nos parents.
Ensuite, et dès les premières années de
notre vie, nous avons aussi été en contact avec un deuxième
héritage : notre environnement culturel, social et économique. Lui
aussi a conditionné nos premiers pas et, à travers une multitude
d’apprentissages, il nous a permis de gagner un temps
extraordinaire. En effet, c’est l’interaction entre nos propres
capacités de parole, de compréhension et d’action, d’une part, et
tout ce qui les a sollicitées, de l’autre, qui nous a permis de
devenir celui que nous sommes.
Pour l’astrologie (et aussi pour la
psychologie des profondeurs), nous disposons bien entendu -
aussi – et au moment précis de notre naissance – d’un troisième
héritage : le patrimoine psychique de toute l’humanité. Ce sont ici
les caractères humains et les images (ou les archétypes) présents
dans l’inconscient collectif qui nous ont été transmis.
Je vois dès lors chaque naissance comme
une sorte de déclic grâce auquel se concentre et se transmet
tout le psychisme collectif humain. On y retrouve les innombrables
sédiments dont l’humanité est faite. Ces « dépôts » sont
collectifs, mais ils sont en quelque sorte réagencés, au moment
précis de notre naissance, en une équation personnelle et unique.
En fait, on peut dire exactement la même
chose à propos de la structure de l’ADN, au moment de la
fécondation. On peut aussi évoquer le même processus en songeant au
spectre des couleurs ou à la gamme des notes de musique : chaque
fois c’est leur nouvel agencement qui permet une peinture originale
ou une composition inédite.
C’est donc dans la
rencontre entre notre dimension psychique, notre hérédité biologique
et notre héritage culturel, social et économique que se sont
précisés les différents conditionnements à partir desquels
nous ne cessons plus d’ajouter du « temps singulier et personnel »
au « temps pluriel et collectif ».
Tout cela ouvre une réflexion
philosophique : le développement de plus en plus complexe de la vie,
depuis que l’univers existe, n’a cessé d’engendrer des capacités de
réponse, d’adaptation et de manifestation toujours plus riches et
plus complexes… Le résultat est aujourd’hui l’intelligence humaine,
douée de conscience.
Comment
alors ne pas nous
sentir l’héritier de tout
le passé de l’univers ?
Comment ne pas nous
considérer, modestement, comme « poussières
d’étoiles »…? Comment ne pas inscrire notre expérience
personnelle dans cette aventure qui nous dépasse … ?
A ce propos, l’astrologie considère que,
par l’intermédiaire du niveau quantique, notre psychisme se trouve à
notre naissance en relation immédiate avec d’autres niveaux,
systèmes ou échelles, tant dans l’infiniment grand que dans
l’infiniment petit.
Dès lors, et alors même qu’on attribue
d’habitude la plupart des phénomènes héréditaires à l'héritage
génétique inscrit dans l'ADN, l’astrologie forme l'hypothèse d’une
autre transmission psychique. Celle-ci découlerait d’une sorte de
résonance avec tout ce qui nous entoure au moment de notre
naissance, de proche en proche et en y incluant le champ quantique
de tout l’univers et dont le zodiaque serait tout au plus le modèle.
Cette conception particulière de
l’astrologie réfute tout aussi bien l’animisme primaire qui
supposerait par exemple que l’astre nous imposerait ses directives ;
et le rationalisme forcené qui ne voit comme explication à notre
relation au ciel qu’un rapport de cause à effet. Avec tout le
respect que nous devons à la tradition astrologique et aux anciens,
il nous faut reconnaître que nous disposons à présent de nouvelles
voies d’investigation, tant dans le domaine psychologique que dans
le domaine physique.
L’univers nous apparaît de plus en plus
comme un gigantesque champ morphogénétique (Sheldrake),
source d’informations et d’énergies qui, ensemble, sont le germe de
structures et donc de formes.
L’essentiel est à présent de démontrer en
quoi le psychisme humain dispose d’une réelle structure et en quoi
celle-ci est imbriquée dans le flux universel. Jung, déjà, estimait
que des engrammes (ou structures archétypiques) étaient
inscrits dans le génome humain au même titre que les instincts.
Comme tels, ils forment les schèmes de notre espèce et ils induisent
dans notre psychisme des images symboliques susceptibles de nous
« informer ». La difficulté est sans doute de déceler le support de
ces énergies – images – informations… Nous serions tentés, fidèles
aux passerelles que l’astrologie fait entre notre psychisme et
l’organisation du ciel, de pressentir ce support dans les ondes ou
dans les forces gravitationnelles elles-mêmes.
En définitive, plus et mieux nous
cernerons la clé de nos procédures psychiques et
archétypiques profondes, et plus, et mieux nous délimiterons
l’apport de l’astrologie à seule fin de la délivrer des dérives qui
la maintiennent dans les griffes des croyances et des superstitions.
L’instant unique de notre naissance est
donc une émergence. Certes,
et comme je l’ai rappelé un peu plus haut,
parce que nous sommes un corps
vivant inscrit dans un monde physique, notre hérédité biologique et
notre héritage culturel délimitent les premiers jalons de notre
histoire. Mais, de l’intérieur, un véritable potentiel psychique
nous met en projet : celui de notre propre accomplissement,
en tant que personne unique.
Dès lors, nous ne cessons, dès notre
naissance et sur base de ce qui est inné en nous (à savoir de nos
prédispositions) d’interpréter de façon singulière, unique,
originale, la grande symphonie humaine, en utilisant les mêmes
notes, mais en une composition radicalement nouvelle. Au début, la
musique s’élabore en nous, inconsciemment, à notre insu. Puis,
insensiblement, nous en prenons conscience et nous en devenons le
chef d’orchestre (ou le maître d’œuvre) …
Il en résulte que notre liberté ne suppose
pas, au départ, que nous puissions faire n’importe quoi. Elle
suppose que nous aillions à la rencontre de nous-mêmes pour ensuite,
et ensuite seulement, pouvoir choisir et décider. Au départ, les
conditions et les conditionnements sont inévitables. A chaque pas
de notre vie, notre liberté ne consiste pas à les nier, mais à
décider du sens que cela peut avoir pour nous, notamment en
découvrant notre propre Echiquier de vie.
Notre vraie présence à nous-mêmes réclame
finalement l’écoute de tout ce qui se passe en nous. C’est un peu
comme s’il nous fallait, dans un premier temps, cheminer sur notre
propre route, sans vraiment en connaître le but ou le dessein.
Ensuite, il nous revient de comprendre les mécanismes qui ont
programmé nos habitudes. Non sans faire la part des choses,
c’est-à-dire non sans rejeter tout ce qui ne venait pas
véritablement de nous, mais résultait des influences, des
circonstances et aussi de nos peurs et de nos identifications, en
périphérie. Il nous revient ensuite de polir notre miroir, pour
nous acheminer jusqu’à l’indécise frontière où se précise notre
propre sens et notre propre vocation.
Cette voie n’est pas une fin en soi.
Elle n’est qu’un moyen pour apprendre notre métier d’homme.
C’est comme s’il s’agissait de saisir l’essence de notre
présence au monde et de notre mise en chantier.
A un moment ou à un autre, d’une façon ou
d’une autre, le cycle de la vie nous fait heureusement abandonner
notre construction provisoire qui, bien que nécessaire, n’était pas
toujours adéquate. Une telle mutation est parfois longue et
difficile.
Ces instants, nous ne pouvons ni les
acheter, ni les négocier. Nous pouvons les préparer pour qu’ils
surgissent. C’est parfois le moment d’être tout simplement plus
présents, l’espace d’une seconde. Un nouveau voyage commence là,
dans l’intensité et l’instantané d’un nouvel horizon.
Comme l’écrivait le poète Rainer Maria
Rilke : « nous naissons, pour ainsi dire, provisoirement, quelque
part ; c’est peu à peu que nous composons en nous le vrai lieu de
notre origine, pour y naître après coup et chaque jour, plus
définitivement ».
Finalement, le mythe universel inscrit
dans le zodiaque, tel qu’il a été à la fois observé et projeté dans
le ciel, nous propose de savoir où nous allons…, de découvrir notre
propre échiquier, de connaître notre carte routière !
Cependant, autant le savoir et autant
le dire, encore et encore : le destin astrologique n'existe
pas. Il ne remplace pas le déterminisme des causes
naturelles (notre hérédité) ni le rôle des conditions
sociales (notre milieu d'origine). L'astrologie indique plutôt
comment ces influences s'organisent autour d'un dessein,
d'une intention. Ce dessein individuel, au moment où
nous le découvrons et où nous l'assumons, nous donne accès à la
structure sous-jacente et (pour une bonne part) inconsciente qui
nous anime de l'intérieur. Non pour nous indiquer le chemin qui
s'impose à nous, mais pour nous encourager dans notre projet,
unique entre tous.
Le symbole astrologique nous permet-il, en
fin de compte, de relier notre personnalité à notre propre histoire
? La réponse est nuancée. La découverte de nos motivations
personnelles révèle moins quelle personnalité précise nous sommes
que la manière et les raisons profondes de ce que nous faisons.
Chaque étape de notre parcours, je le
répète, reste tributaire d'autres facteurs : niveau culturel,
conditions d'origine, conjoncture économique. L'astrologie ne
prétend donc pas fixer chaque personne dans une histoire. Chaque
symbole tient un langage précis, mais s'adapte aussi à une variété
de mises en application. André Barbault a écrit quelques pages
essentielles à ce sujet, il y a plus de quarante ans déjà.
Il n'empêche, l'astrologie propose un
clavier unique qui permet de relier et d'assortir nos tendances de
base, les fonctions qui leur correspondent, les moyens et les
actions qui leur ressemblent, les objets et les lieux qui leur
conviennent. Aucune typologie ne va aussi loin. Aucune grille
psychologique ne nous aide mieux à définir, finalement, comment nous
allons choisir de « porter des fruits », autrement dit de
faire aboutir le projet de notre vie.
L’astrologie, telle que je la comprends,
se préoccupe donc moins du destin des hommes que de
l’argument de leur vocation individuelle.
Or, à l’inverse du destin et de
la fatalité, la vocation n’est ni automatique, ni
inéluctable. Elle appelle la participation consciente et libérée du
sujet. La vocation demande à cet égard un préalable : la
reconnaissance de nos potentialités et de nos modes de
fonctionnement ; ce à quoi l’astrologie contribue, précisément.
Vivre, c’est (en dernière analyse) entrer
librement et consciemment dans le jeu de notre vie, sur l’échiquier
de notre ciel de naissance. Le premier stade de notre présence à
nous-mêmes réclame l’écoute de tout ce qui se passe en nous. Des
réactions souvent inconscientes et inscrites dans un véritable
scénario nous investissent chaque fois que quelque chose nous
interpelle. Durant l’enfance, parfois plus longtemps, nous nous
trouvons dans l’incapacité de prendre du recul et d’examiner nos
vraies motivations. Cela ne constitue pas, à proprement parler, une
défaillance, mais le sceau de notre cheminement, à la rencontre de
nous-mêmes.
Jour après jour, année après année, dans
le prolongement de nos premiers pas, nous écrivons le livre de notre
vie. Puis, un jour, nous le lisons, afin de décrypter le sens de
ce qui nous arrive. Nous aspirons là saisir la logique des
enchaînements, non pour nous l’imposer encore davantage, mais pour
nous permettre d’aborder, avec pertinence et lucidité, les
situations qui nous ressemblent.
Il
nous revient alors de surprendre, sur le vif, le mécanisme programmé
de nos habitudes. Puis, d’apprendre à désapprendre. De rejeter les
identifications erronées, en périphérie. De polir le miroir, comme
déjà dit plus haut. De nous acheminer jusqu’à l’indécise frontière
où se précise notre sens et notre vocation.
Etre libre, c’est alors être Soi en
acte. C’est obéir en quelque sorte à la Loi interne qui
gouverne notre fonctionnement spécifique et unique, dans le rapport
à nous-mêmes et aux autres. Rudhyar a écrit des choses capitales à
ce sujet.
Derrière les aspérités apparentes de notre
voyage, se profile ainsi une courbe plus continue. Derrière les
apparences se précise le dessein de notre vie. Les
situations deviennent ainsi des indices qui nous donnent
l’occasion de bifurquer, non pour nous éloigner de nous-mêmes ;
mais, au contraire, pour revenir dans l’axe de notre vrai
devenir. Cette voie n’est pas une fin en soi, elle n’est qu’un
moyen pour apprendre notre métier d’homme. C’est comme s’il
s’agissait de saisir l’essence de notre présence au monde et
de notre mise en chantier. Ainsi s’exprime l’ultime utilité de
l’astrologie.
De ces quelques considérations, il découle une « philosophie »
prescrivant les grandes lignes de l’usage de l’astrologie.
Avant tout, il faut prendre
de la distance avec soi-même.
Avant tout, il faut garder le
sens de la nuance et de la relativité.
Il
y a ici, plus que partout ailleurs, danger à se prendre au sérieux.
Si on tombe dans ce travers, il y a le péril de projeter ses propres
angoisses sur l’autre (le consultant). Si l’astrologue veut aider
l’autre à se délivrer, il doit aussi lui refuser tout regard
paternaliste, supposé rassurant. L’astrologue n’est proche de son
client qu’en se mettant à distance…
Ce dont il s’agit, dans la
consultation, c’est d’être à la fois avec l’autre, dans
l’extrême proximité, pour le comprendre ; et dans la distance, pour
l’aider. Ce qui, sans doute, a à voir avec ce que le maître Zen
nomme l’attention.
Dans le rapport à l’autre, en
astrologie, cet accord entre la présence et la neutralité favorise
le partage, sans le piège de la dépendance.
Face au consultant,
l’astrologue doit accéder à la proximité confiante qui permet au
consultant de se dévoiler sans peur, dès lors qu’il n’y a là ni
curiosité malsaine, ni exercice d’un pouvoir secret.
A tout cela contribue la
présence de l’objet neutre que constitue le thème astral. En
effet, celui-ci facilite pour les deux parties la distance
objective. Grâce au thème, l’astrologue est en mesure de montrer à
son consultant en quoi sa carte du ciel (son échiquier de vie)
est structurée à la manière d’un inconscient.
De son côté, ainsi guidé, le
consultant se dit à lui-même des choses significatives sur ce qu’il
est, sur ce qu’il veut, sur ce qu’il fait. A cet égard,
l’astrologue est tout au plus un accompagnateur (un initiateur ? –
mais combien d’astrologues le sont-ils vraiment ?), puisqu’il ne
fait que prêter sa voix pour nommer les symboles et pour leur donner
vie, de sorte que son consultant puisse se les approprier. Une
telle expérience ne peut laisser indifférent et c’est ce qui la rend
tellement passionnante.
Tout ceci doit ou devrait
nous situer bien en retrait d’une astrologie qui se veut
obligatoirement anticipative et qui ne détiendrait ses lettres de
noblesse que de ses techniques prédictives. Certes, pour beaucoup,
l’astrologie est avant tout et encore l’art de prédire les
événements futurs par les positions et les influences des corps
célestes. On la voit ainsi quasiment limitée à son aspect
prévisionnel.
Bien
entendu, il existe au cœur même de notre développement individuel
et, comme tel, inscrit dans notre thème de naissance, un facteur
d’actualisation de notre potentiel, voire d’accomplissement de ce
que j’ai considéré plus haut comme notre dessein ou notre mission de
vie. Ce facteur d’actualisation a pour corollaire un autre agent de
transformation, visant à nous faire revenir, si besoin, dans l’axe
de notre vrai devenir. C'est d’ailleurs lui qui, déjà, opère durant
l'adolescence, lorsqu'il s'agit de remettre en question nos
identifications superficielles pour redéfinir notre identité.
Or, précisément, ce double facteur
d’accomplissement et (au besoin) de renouveau ne peut que concerner
la libération du passé. On en retrouve d’ailleurs l'image spontanée
dans l'inconscient, dans les mythes, dans les rêves et même dans les
fantasmes des individus. C'est une sorte d'aspiration spirituelle à
nous délivrer de la sujétion à l'hérédité et au destin.
En tout cela, l’astrologie a (ou
devrait avoir) pour mission de nous accompagner dans notre
aspiration à mieux nous connaître. Ce faisant, nous ne devenons
pas subitement libres ; nous nous donnons les meilleures conditions
pour le devenir. Nous nous accouchons de nous-mêmes, une nouvelle
fois. Nous commençons à façonner notre pierre brute. Nous nous
donnons un idéal. Nous nous procurons une éthique de vie. Nous
nous fixons un objectif.
Ce dernier devient alors pour nous un
attracteur, c'est-à-dire qu'il rétroagit depuis le futur et de
proche en proche, sur chaque carrefour. Il infléchit ainsi le sens
que nous donnons à notre passé. Or, quand nous nous fixons un tel
objectif et quand nous le maintenons sous notre propre
contrôle, nous faisons mentir toutes les prédictions. Car
prédire consiste à extrapoler, à déduire, à projeter dans le
temps ce que nous sommes aujourd'hui. Comme si, parmi tous
nos possibles, nous n'en choisissions qu'un seul : celui qui
nous paraît le plus compatible avec notre scénario en cours. Rien
n'est plus contraire à l'axe de liberté.
L'astrologie bien comprise ne nous annonce
donc pas un temps futur inéluctable. Cela reviendrait à fermer ce
qui doit demeurer ouvert. Elle nous parle de nos causes
antécédentes. Elle ne le fait que pour nous offrir, en quelque
sorte, une nouvelle adolescence qui revient à concevoir l’innovation
dans la vivacité d'aujourd'hui.
Il en résulte une toute autre approche des
bénéfices que nous pouvons retirer de l’analyse de notre thème
astrologique. J’aimerais en citer quelques-uns :
-
Nous offrir le moyen
de mieux nous connaître et de détecter le fonctionnement de
notre personnalité ;
-
Grâce aux symboles
planétaires, rencontrer nos différents traits de caractère ;
-
Amener à notre
conscience des aspects de nous-mêmes jusque-là méconnus ;
-
Reconnaître nos
potentiels de naissance dont l’épanouissement nous est
nécessaire ;
-
Dépister les
décisions inconscientes que nous avons prises dans l'enfance ;
-
Décrire les
automatismes de comportement qui s'imposent à nous ;
-
Explorer au besoin
le conflit profond qui sous-tend nos difficultés de vie ;
-
Remonter à l'origine
des causes inscrites dans notre développement et dans notre
histoire familiale ;
-
Repérer les pièges
psychologiques auxquels nous sommes prédisposés ;
-
Saisir la leçon des
événements qui se répètent dans notre vie ;
-
Vivre les situations
de notre vie, non comme des conditionnements extérieurs dus à
l'adversité ou à la chance, mais comme porteurs d'un sens qu'il
nous revient de découvrir ;
-
Préciser et
dynamiser nos objectifs ;
-
Nous orienter
psychologiquement et / ou professionnellement en tenant compte
de nos potentialités et de nos priorités de vie ;
-
Dévoiler notre vraie
question, masquée par les faits apparents ;
-
Observer si nos
comportements sont adaptés à notre but ;
-
A travers la sagesse
millénaire de l'astrologie, écouter notre voix intérieure pour
saisir la portée de nos objectifs et pour les accorder à nos
aspirations les plus profondes ;
-
Envisager les
grandes étapes de notre existence comme des phases de
transformation qu'il nous revient d'intégrer au sein de notre
propre code de valeurs ;
-
Pressentir, définir
et accomplir ce qui se dessine à travers notre vision
personnelle du monde, dans l’idée d’accomplir notre dessein (ou
mission de vie).
C’est véritablement dans cette
actualisation que réside notre part de liberté et de
créativité.
Nous ne sommes pas nés comme des êtres
aboutis ! Nous ne sommes pas venus au monde comme des êtres
parfaits ! Et c’est heureux ! La mémoire collective nous a
transmis une part de l’être, mais notre incarnation dans un
espace (une culture, une société, une famille) et dans un temps (une
époque, un siècle, une heure de naissance) nous conduit à y ajouter
le supplément de notre différence.
On peut considérer ensuite que notre
apport particulier (et unique) vient enrichir la palette multicolore
de l’humanité en ce qu’elle est elle-même la manifestation
démultipliée et innombrable de l’être – univers.
Notre
être singulier est donc à la fois une partie de l’univers
et la cristallisation de notre identité vécue. Si nous
n’étions qu’un fragment de l’être – univers en soi, nous
serions en quelque sorte parfaits. Mais notre dessein n’est pas
d’être parfait : il est de nous perfectionner.
L’être parfait est déjà l’aboutissement de
tout ce qu’il peut être. A l’inverse, c'est dans notre imperfection, ou
plutôt dans nos manques et dans nos incertitudes, que réside le
potentiel de ce qu’il nous est proposé de réaliser en plus.
L’être parfait n’a aucune raison
d’évoluer, alors que nous avons toutes les raisons de nous
accomplir…
Cette réflexion philosophique n’est pas
très nouvelle. Déjà au 15ème siècle, le célèbre
humaniste italien Pic de La Mirandole, dans son tout aussi célèbre
discours « De la dignité de l'homme », met dans la bouche du
Créateur ces paroles par lesquelles Celui-ci confère au premier
homme le privilège de la liberté : « ô Adam, Je t’ai placé au
milieu du monde afin que tu puisses plus facilement promener tes
regards autour de toi et mieux voir ce dont le monde renferme. En
te faisant ni céleste ni terrestre, ni mortel ni immortel, j’ai
voulu te donner le pouvoir de te former toi-même. Tu peux descendre
jusqu’au niveau de la bête et tu peux t’élever jusqu’à devenir un
être divin. En venant au monde, les animaux ont reçu tout ce qu’il
leur faut. De même, les esprits d’un ordre supérieur sont dès le
principe ce qu’ils doivent être et peuvent ainsi demeurer dans
l’éternité. Toi seul tu peux grandir et te développer comme tu le
veux. Tu as en toi les germes de la vie sous toutes ses formes ».
De tout cela, je retiens l’idée de ces
occasions qui nous sont données pour mettre en chantier les
différentes facettes de notre personnage, mais aussi les trésors de
nos potentialités, à mesure que des situations ou des événements
nous interpellent et nous incitent à y répondre selon notre
structure interne en constante évolution et réadaptation.
Selon l’astrologie (et en accord avec la
psychologie des profondeurs) un champ potentiel (ou un projet de
vie) anime notre théâtre intime. De temps à autre, une passerelle
s’établit entre le « metteur en scène » (le Soi ?) et le personnage
principal de notre propre histoire (celui que nous sommes, à un
moment donné). Cette passerelle se produit à la manière d’un
dialogue à deux voix : il y a ce qui est encore en puissance, tout
au fond de nous, et il y a une circonstance, un fait, un incident
extérieurs. Le symbole les relie, voire dynamise ce que ces deux
pôles ont d’analogue et aussi ce qu’ils « ont à nous dire » à propos
de notre vrai dessein (à propos de ce qui nous ressemble vraiment.
Nous pouvons choisir de ne pas entendre cette opportunité – et
l’aspiration ou le potentiel qu’elle éveille. Nous pouvons
effectivement continuer à jouer des rôles qui ne font pas partie de
notre projet intime, mais plutôt de notre histoire, en ce que nous
avons reçu comme influence et en ce qui nous semble plus « à la
mode »… Nous pouvons au contraire percevoir le sens que révèle le
symbole astrologique, à mi-chemin entre la réalité objective d’un
fait et notre propre subjectivité.
Ce qui revient à percevoir le « pourquoi »
d’une situation, d’en déceler la ressemblance – soit avec notre
histoire, – soit avec notre vrai projet. Finalement, ce qui se
passe dans notre vie vise à nous instruire sur « qui nous sommes »
profondément, dans l’unicité du potentiel psychique que nous avons
reçu en partage à notre naissance. Le sens subtil de ce qui se
passe là se tisse dans la façon dont nous décidons de poursuivre
notre vie après tel ou tel événement. Il y a là un espace de jeu et
de créativité, sur l’échiquier de notre vie, et qui nous permet de
réinventer notre propre monde au lieu de le subir.
En filigrane, tout cela revient à dire que
nous n’avons peut-être pas eu d’emblée l’occasion de tracer notre
propre chemin de vie. Cela est dû au fait que nous ne pouvions
savoir dès l’enfance ce qui nous convenait : nous devions d’abord
faire notre apprentissage. Nous ne pouvions au départ situer la
portée et le sens de chacune de nos réactions. Nous ne faisions le
plus souvent que pressentir confusément nos préférences, nos goûts,
notre différence. Tout cela agissait en nous et malgré nous.
Nous nous sommes donc investis dans ce qui
était là, dans ce qui venait vers nous, dans des modèles et des
repères plus ou moins façonnés par la société et les circonstances.
Pourquoi ? Parce qu’ils étaient tout de même en résonance avec nous
et parce que nous croyions les reconnaître, ou bien encore parce
qu’ils s’imposaient à nous.
Nous
n’avons cessé, bien entendu, de conserver le pouvoir de dissoudre
ces adhérences. Mais le savions-nous ? Savions-nous que
nous détenions un tel pouvoir ? Notre privilège n’en est pas moins
de passer, à chaque instant, du passé vers l’avenir, et aussi de
notre devenu à notre devenir. Les innombrables
interpellations multiformes du monde sont effectivement autant d’occasions
(pour nous) de percevoir dans nos aspirations nouvelles notre propre
projet. Celui-ci est inscrit dans la singularité de notre thème de
naissance, dans l’intuition du tout que nous voulons être.
Cette intuition est tout au plus une ébauche. Comme l’artiste, nous
ne savons pas nécessairement ce que nous allons créer. Mais nous le
créons, parce que le jeu de la réalité, jour après jour, nous le
révèle à travers nos expériences intimes et parce que le sens que
nous donnons à tout ce qui vient vers nous, nous interpelle et nous
éveille à notre propre réalité.
Jacques
Vanaise
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