les "Astro Plumes" |
Causalisme et/ou symbolisme : un débat fondamental (1ère et 2e partie)
(1ère partie) Quelle est la nature de l'astrologie ? L'astrologie est-elle causale ou symbolique ? Il est des mots qui soulèvent parfois des tempêtes d'encre. Mais ceux-ci n'ont pas le monopole du déchaînement des esprits (et des passions, hélas !), ils appartiennent à la grande famille des questions sur la nature du réel. Grosso Modo depuis Pythagore au Vie siècle avant notre comput, deux écoles sont disputé sans concessions une réponse d'ordre idéologique à cette question fondamentale. D'un côté les idéalistes, au sens philosophique, avec Platon, Avicenne, Paracelse, Jung, Rupert Sheidrake et René Thom, qui affirment que l'invisible organise le visible. Platon invoquait les Idées, Avicenne l'Ange, Paracelse les signatures, Jung les archétypes, Scheidrake les champs morphogénétiques et René Thom les « catastrophes » mathématiques. Il ne s'agit pas du réel : une relation a-causale entre une réalité invisible et le monde psycho-physique où nous vivons. Cette réalité immatérielle, quelque soit sa nature, échappe aux lois de la science contemporaine car personne ne sait ni la mesurer, ni la peser, ni la convoquer dans un laboratoire. Du point de vue symbolique ce monde « imaginaire », impalpable, immatériel, ne signifie pas « imagination, fantasme, et illusion ». Ce mot désigne un monde intermédiaire ayant une réalité, même si celle-ci, une fois encore, échappe aux critères scientifiques, à savoir le qualitatif, le mesurable et le reproductible. Cette réalité là, Henri Corbin l'appelait le monde imaginai, pour la différencier de la pure imagination rêveuse. L'astrologie symbolique se situe naturellement dans la filiation de ce courant de pensée. De ce point de vue l'astrologie est à la réalité subjective ce que les mathématiques sont à la réalité objective : un langage précis et cohérent. Le langage symbolique s'occupe du sens, le langage mathématique de l'objet. Signification et matière sont les deux sources de nourriture de l'être humain1. D'un autre côté, une école complémentaire dans l'esprit mais opposée dans la pratique, affirme que seule la logique analytique et la causalité permettent de comprendre notre réalité. Là encore, grosso modo, nous y découvrons des penseurs comme Aristote, Averroès, Descartes, Laplace, Changeux et l'immense majorité des scientifiques contemporains. Ici encore il ne s'agit pas de gommer les différences parfois fondamentales entre les uns et les autres mais de remarquer que tous espèrent, par l'observation minutieuse de la Nature, lui arracher ses secrets. L'astrologie causale se situe bien sur dans cette mouvance. Ici le monde imaginai n'a pas d'existence en soi mais il est produit par la causalité physique et, a fortiori, par la biochimie du cerveau.Cette mise en perspective suppose deux ou trois remarques : - Les deux écoles de pensée, que nous appellerons « symboliste » et « causale » pour reprendre les termes du débat ici engagé, se fondent tous deux sur des a-priori métaphysiques aujourd'hui indémontrés, peut-être même indémontrables. Les causalistes pensent que le réel, cet inconnu, est explicable à partir d'une analyse fine de la matière et des forces qui l'organise. Les symbolistes par contre affirment que les observations matérielles ne représentent que l'écume des choses, « derrière » ce monde visible existe un monde invisible capable d'organiser la vie psychophysique. Le défi des causalistes sera donc de démontrer que tout\e réel observé et vécu est réductible aux atomes ; le défit des symbolistes sera de démontrer que au moins une partie du réel observé et vécu ne peut s'expliquer que par l'interaction de l'invisible avec le visible2. La difficulté réside dans ce « tout » et ce « que ». Prétendre résoudre ce débat définitivement est une douce illusion 25 siècles d'histoire n'y ont pas suffit. Les symbolistes sont confrontés à une difficulté supplémentaire : ils n'ont pas à ce jour de modèle théorique universellement reconnu pour organiser leurs observations. Il existe quelques modèles mathématiques comme la théorie des catastrophes (Thom3) ou le relativité superlumineuse (Dutheil4), ou encore des approches plus philosophiques comme l'univers des archétypes (Jung5), le monde imaginai du soufisme (Corbin) ou la théorie des forces formatrices inspirée de l'anthroposophie (Sheidrake6). Mais, malgré ces approches théoriques, il n'existe pas à ce jour l'équivalent de la Méthode scientifique pour valider ces théories. C'est pourquoi, le plus souvent, les critères méthodologiques scientifiques pallient à cette grave lacune. René Thom, prédire n'est pas expliquer (Eshel, 1991) Or cela est nécessairement voué à l'échec. Nous y reviendrons. Les conséquences philosophiques et pratiques liées à l'adoption de l'une ou l'autre de ces deux approches sont immenses. Ce serait faire preuve de légèreté que de les considérer superficiellement. L'une de ces implications soulève la question battue et rebattue du libre arbitre et du déterminisme. Nous n'avons pas assez d'espace ici pour en discuter mais permettez moi simplement une remarque : la science est déterministe pourtant les scientifiques défendent becs et ongles la liberté humaine ; l'astrologie est un système symbolique et (certains) astrologues jouent le jeu des prévisions comme si les lois du « destin » étaient écrites par avance. Contradiction ? Oui, d'un strict point de vue logique. Il faut cependant rappeler que le projet de « faire science » n'est pas neutre, dépollué de tout présupposé anthropologique. Il s'inscrit dans une histoire, celle d'un occident judéo-chrétien qui a vécu la Réforme Protestante, dont l'un des cheval de bataille est la liberté humaine et la capacité à tout instant d'opérer des choix. C'est peut-être aussi pour cette raison que le débat entre scientifiques et astrologues est aussi vif, parce qu'il est la rencontre de deux incompréhensions. Car derrière la bataille des mots et des faits, un autre combat fait rage : celui de nos présupposés métaphysiques. Le scientifique « chrétien » défend la liberté humaine, pour lui c'est la connaissance de la loi qui rend libre, toute « prévision » est philosophiquement insupportable ; l'astrologue « païen » (les planètes ne sont-elles pas à l'origine des dieux ?) cherche une légitimation scientifique à l'astrologie, et quoi de mieux que la prédiction pour démontrer la mise en jeu d'un système de lois ? En fait l'astrologie n'est pas et ne peut pas être scientifique même si une approche scientifique de l'astrologie est complètement concevable et existe, elle l'ampute de son essence : la révélation de la présence du sens.
(2e partie) L'astrologie traite de la question du sens. Or le sens est une question qui échappe complètement à la méthode scientifique. La science sait traiter des signaux, pas des signes. Elle décode de « l'information », mais au sens de Shannon dans sa « théorie de l'information ». C'est-à-dire, pour simplifier, l'organisation statistique des 1 et des 0 dans une suite numérique. Entre dire qu'il y a plus de « 1 » ici que là et en déduire une signification il y a un monde. La nature du sens reste extrêmement mystérieuse pour le scientifique car les outils méthodologiques qu'il utilise dans sa quête de connaissance sont incapables de le saisir. Le sens n'est ni mesurable, ni quantifiable, ni répétable. Il est sans dimension, impondérable et spontané. Pas plus que le poème il ne supporte l'analyse. A ce jour au moins trois hypothèses sont envisageables sur le sens du sens: - Il s'agit d'un épiphénomène produit par le chaos neuronal et le jeu des médiateurs chimiques. C'est là la position scientifique classique qui suppose que le sens naît de la matière. - Il s'agit de la troisième émergence de l'histoire de l'univers. Depuis le Big Bang l'univers s'est déployé en donnant naissance successivement à la matière puis à la vie biologique. Aujourd'hui, troisième émergence avec l'apparition de l'homme, naît la conscience du sens. L'univers s'est crée un cerveau pour se penser, un œil pour se voir, une main pour se transformer... un être humain pour prendre conscience de lui-même. Cette thèse développée pour la première fois par Sri Aurobindo, est à présent développée par certains physiciens quantiques et astronomes. - La troisième hypothèse est de type hégélien : il existe, parallèlement à notre réalité matérielle, un monde saturé de significations qui interagirait sans cesse avec la matière. Le processus d'évolution serait la conséquence de cette immense interaction entre l'Esprit et la substance.
Les astrologues causalistes considèrent, qu'ils le veuillent ou non, que le sens est un épiphénomène transitoire produit par la biochimie de l'organisme humain. Il est réductible à une information. Même si une influence planétaire est un jour mise en évidence, sur les gènes par exemple, il restera à combler le fossé immense qui sépare le signal du signe, l'information du sens. Si l'automobiliste s'arrête au feu rouge ce n'est pas à cause du signal, de la force électromagnétique émise par la lumière, mais bien à cause de son sens symbolique. Personne n'a jamais vu un chien contourner spontanément un tapis rouge ni se recueillir méditatif sur un banc d'église. Les humains en sont capables, rien ne les « influence » pourtant si ce n'est le sens du symbole, le sens du sacré, le sens du sens. Ce sens du sens peut-être intellectuel (le feu tricolore), culturel (le tapis rouge) ou profondément inscrit dans la nature humaine (le sacré). Les symbolistes se situent dans la seconde ou la troisième hypothèse. Signes et planètes disent plus que ce qu'ils sont du seul point de vue physique, un peu comme le feu tricolore qui fait plus que ce qu'il ne pourrait faire en étant strictement scientifique.
Les deux lectures ne sont pas antagonistes. Ce week-end, alors que j'animai un séminaire sur la relation entre conte de fée et zodiaque, un étudiant tombe en panne de voiture. La logique causaliste cherche naturellement à cela une explication : défaut d'entretien du véhicule, etc. A la question que je lui posai sur le sens de cet événement il me répondit que cette voiture appartenait à son père décédé exactement un an plus tôt, et que son problème actuel était d'oser se dégager de « toutes les vieilleries » à lui léguées par cet aïeul. Certes il faut bien une cause pour produire un événement, mais le dit événement ne se produit jamais n'importe quand ni n'importe comment et, pour la personne, il est porteur de sens. Tout se passe comme si le monde du sens interagissait avec la réalité objective pour se dire: le symbole - ici la panne de voiture - est alors la trace laissée par un sens qui cherche à devenir conscient. Mais tout cela n'est absolument pas scientifique. Pourquoi? - Par ce qu’« il n'y a de science que du général » (Aristote) : l'expérience citée plus haut est un événement rare, voire unique. De même un thème natal est unique. L'astrologie n'est pas une science, pas plus du reste que l'histoire ou la psychanalyse, car elle s'intéresse à l'unicité de la personne. La science prouvera que vous avez 99% de chance de ne pas avoir d'accident d'avion, mais elle est incapable de dire si vous, en tant que personne particulière, risquez de chuter en vol. L'astrologie par contre peut répondre à cette question, mais elle n'a aucun moyen d'évaluer la fréquence des accidents d'avion dans le monde. Ces deux approches sont donc complémentaires mais ne relèvent pas des mêmes critères de validation. - Parce que la science ne traite pas de la question du sens, or l'expérience citée plus haut est justement fondée sur le sens. Le thème astrologique de la personne dira les enjeux de la relation au père, mais pas que la voiture va tomber en panne! Même si un astrologue suffisamment sensible au symbole peut émettre l'hypothèse de la panne. Le fait que l'événement prédit se réalise n'implique pas un déterminisme astrologique car un même sens peut toujours prendre plusieurs formes événementielles différentes pour se dire. Et s'il est conscientisé il n'a plus besoin de se dire. - Par ce que la science ne sait pas s'occuper du temps. Or l'exemple de la voiture tout comme l'astrologie sont intimement liés à la nature du temps. Les équations de la thermodynamique, par exemple, supposent un temps réversible : ce que le monde réel rend impossible. Un sucre se dissout dans le café, l'opération inverse spontanée est infiniment improbable. La science réduit le temps à une variable «T », sans flèche ni contenu, contrairement à l'expérience courante. La pratique astrologique réintroduit la valeur du temps : chaque moment est littéralement lourd de sens. Tout se passe comme si, à sa naissance, l'enfant, totalement réceptif, était « imprégné » par des « forces signifiantes » dont le temps est porteur. Remarquons au passage que mathématiciens et physiciens sont tellement embarrassés avec la nature du temps que les théoriciens des cordes se gardent bien d'ajouter des dimensions de temps supplémentaires à leur théorie, ils se contentent de modéliser un univers à 10 dimensions d'espace et une de temps.
Traiter l'astrologie par les voies de la science, et au passage affirmer que la science a le monopole de la connaissance, est pertinent mais très superficiel. Pertinent car les statistiques montrent un lien entre planètes et vie humaine ou animale. Remarquons au passage qu'une statistique significative n'infère rien quant au « mécanisme » mis en jeu mais indique simplement une corrélation entre deux événements, l'un céleste, l'autre terrestre. Cette corrélation peut-être causale ou a-causale, aujourd'hui nous en sommes encore réduits aux hypothèses. « Superficielles » parce que la « scientifisation » de l'astrologie ressemble un peu à l'analyse d'un poème : le sens, la beauté, la liberté, le souffle, s'échappent de la coquille des mots épars, laissée là, inerte, sous le scalpel de la pensée rationnelle. La difficulté, c'est que cette pensée rationnelle là ne comprend pas que c'est le souffle qui a façonné la coquille, que c'est l'inspiration du poète qui a su trouver cet arrangement de sonorités uniques, à nul autre pareil. Une telle attitude revient à vouloir enfermer le grand vent dans un filet à papillon et, face à l'insuccès, en conclure fièrement à l'inexistence de l'air. Les scientifiques prétendent aussi qu'il n'y a de connaissance que scientifique : c'est là une maladie infantile de la pensée. Ernesto de Martino, ethnologue italien étudiant la magie des peuples primitifs, a bien analysé la situation de l'observateur occidental aux prises avec les présupposés scientifiques :
« L'application de la méthode naturaliste aux phénomènes paranormaux, et la tentative de les prouver sur le plan où se meut la science expérimentale de la nature, révèle donc, à un certain point ses limites ou, plus exactement, une contradiction interne : pour les prouver, il faut les considérer comme s'ils étaient des phénomènes donnés, alors que leur caractéristique est justement de se trouver encore immédiatement inclus dans la sphère de la décision humaine et, par conséquent, de n'avoir pas de loi ou d'avoir plusieurs lois selon la libre démiurgie des représentations, des sentiments et des intentions de l'homme. La science expérimentale de la nature s'est constituée en prenant pour idéal une nature épurée de toutes les « projections », et cela non seulement dans la pure croyance, mais bien dans la réalité. Il en résulte que la simple possibilité de phénomènes paranormaux répugne intimement à l'histoire interne du mouvement scientifique moderne : pour accepter cette possibilité, ou il doit nier ses origines historiques en instituant une sorte de cryptogamie avec la magie, ou bien il doit dépasser son histoire propre pour essayer d'atteindre à un point de vue plus élevé, à une vision plus compréhensive »
La science s'est constituée en retirant le psychique de la nature, c'est un scandale pour l'esprit scientifique que de vouloir réintroduire une nature chargée de psychisme, que celui-ci soit simplement une présence qui donne des signes à l'homme (la pensée symbolique) où - pire! - un facteur inconnu qui puisse interagir avec la matière (la pensée magique opérative).
Pourtant une astrologie purement causale résiste difficilement à l'analyse. Comment en effet expliquer l'opérativité des progressions par exemple ? Il s'agit là d'une technique purement symbolique qui fait appel à un temps passé pour expliquer un temps présent. Comment comprendre le passage de l'information à la signification, du signal au signe ? Comment expliquer l'extraordinaire logique interne du système astrologique qui, une fois décodée, permet de proposer de nouvelles significations sans interroger l'expérience, sauf pour vérification ? Comment, tout simplement, comprendre le zodiaque tropique qui est un système symbolique fondé sur les nombres trois, quatre et douze ? Les tenants d'une astrologie causale devraient non seulement travailler en sidéral mais abandonner le zodiaque en ne conservant que les points énergétiques : étoiles, planètes, soleil et lune. Que signifie, d'un point de vue causal, des lieux géométriques comme l'axe des nœuds et la lune noire? Que signifie, d'un point de vue causal, les parts arabes, pur produit du calcul? Pour qu'il y ait influence il faut une source d'énergie. Pour les planètes et les étoiles on peut toujours en discuter. Mais pour le reste? L'intersection de deux orbites n'a, d'un point de vue scientifique, jamais été considérée comme pouvant avoir une influence sur quoi que ce soit et ne le peut pas. Pourtant l'expérience astrologique montre le contraire. Alors il faut bien remettre en cause la méthode scientifique, ou plus exactement comprendre les limites de son champ d'investigation, limites imposées par la Méthode, et réfléchir à d'autres formes de rationalité : par exemple la logique analogique (Newton, Paracelse), la logique du tiers inclus (Lupasco) ou encore la logique cyclique dont la vie biologique est friande et dont la pensée orientale a magnifiquement su rendre compte. In fine ce n'est pas la science qui doit affirmer ou infirmer l'astrologie, c'est le fait astrologique qui doit questionner la vision du monde imposée aux hommes par la science depuis quatre siècles. Et le défi est immense. Luc Bigé |